Dans le vaste univers musical il est encore des territoires peu explorés ; de ce fait les recherches peuvent apporter de nouvelles découvertes, de nouvelles joies, et, comme l'a écrit Schumann, "on n'a jamais fini d'apprendre".
Ainsi la musique française de la fin du siècle dernier possède encore certaines faces cachées. Si les grands représentants de ce que Norbert Dufourcq a appelé "le troisième âge d'or de la musique française" ne sont plus à découvrir, il n'en est pas de même pour d'autres compositeurs dont certains ont eu pourtant le privilège de "plaire" à leurs contemporains. Ce fut par exemple le cas de Massenet et de ses émules qui ont maintenant des détracteurs. Il était donc intéressant de tenter de lever le discrédit qui touche cette musique trop considérée comme une "musique de salon". 

Nous avons donc choisi de travailler sur l'œuvre de piano de Reynaldo Hahn. Pourquoi Reynaldo Hahn et pourquoi son œuvre de piano ? 

Il faut dire tout d'abord que Reynaldo Hahn est une personnalité marquante de l'époque, personnalité qui a été remarquablement décrite par Monsieur Bernard Gavoty dans son ouvrage "Reynaldo Hahn, musicien de la Belle Époque'', Belle Époque, ce nom seul suffit à expliquer son charme et son attrait ; l'aura dont cette période est entourée évoque instantanément les fastes d'une vie vouée aux plaisirs de l'art sous toutes ses formes ; ce fut l'une des raisons du choix de notre sujet. 

D'autre part, le piano a joué un si grand rôle dans la vie musicale des salons de tout le XIXème et en particulier de la fin du siècle qu'il nous a paru intéressant d'examiner en détail l'œuvre pianistique d'un compositeur célèbre à son époque, oublié aujourd'hui : on connaît ses opérettes, ses mélodies mais on ignore sa musique pour piano.[1]

La littérature pour piano, à la fin du siècle dernier et au début du nôtre, est caractérisée par un refus de la grande forme au profit d'œuvres de dimensions réduites qui convenaient mieux à l'esthétique du temps.

En feuilletant les journaux de l'époque on est surpris par cet engouement du public pour les pièces à caractère intime : feuillets d'album, morceaux de genre etc... C'est l'époque de ''l'Allée Solitaire", "Les bûcherons", "Le banc de mousse",      "La source enchantée" de Théodore Dubois, de "Papillons noirs",   "Papillons blancs", "Eau dormante", "Eau courante" de Massenet, du "Conte Fantastique" de Raoul Pugno, des "Offrandes" et des "Arabesques" de Léon Delafosse etc... 
Chez les compositeurs qui sont passés à la postérité, on retrouve également ce goût de la petite pièce : Saint-Saëns compose des valses, des bagatelles, des mazurkas mais " un phénomène surprenant est, qu'à aucun moment de sa carrière, il n'ait envisagé pour son instrument la composition d'une sonate, d'une fantaisie, d'une ballade, de l'une ou l'autre de ces œuvres de style soutenu, de souffle généreux dont la forme seule, toute frémissante encore des chefs-d'œuvre qu'elle avait contenus eut suffi, semble-t-il, à vivifier, à ennoblir sa pensée pianistique. " [2]
A un niveau différent, chez Fauré, nous retrouvons ce même esprit avec ses romances sans paroles, ses valses-caprices, ses barcarolles etc..
La liste pourrait s'étendre à la plupart des compositeurs de l'époque ; citons pour finir Chabrier et ses "Pièces pittoresques", Satie et ses "Gymnopédies", Reynaldo Hahn enfin ! car toutes ses œuvres pour piano sont des œuvres courtes, exception faite pour la Sonatine en ut majeur de 1907

L'esthétique de ces petites pièces sera celle de pratiquement tous les recueils de Reynaldo ; elle est caractérisée par la primauté de la mélodie faite de charme et de simplicité, par le raffinement de l'harmonie et par l'écriture pianistique refusant systématiquement la virtuosité au profit d'un style de confidence intime.
En cela Reynaldo se rapproche du Mendelssohn des "Romances sans paroles" du Tchaïkovsky des "Saisons" du Grieg des "Pièces lyriques" ou, pour parler d'un de ses contemporains, du Gabriel Dupont des "Heures dolentes".

Les œuvres à caractère chorégraphique ont une grande importance pour Reynaldo Hahn ; sa première œuvre éditée est une valse qu'il a composée à huit ans, sa dernière œuvre importante pour le piano "Le ruban dénoué" est une suite de douze valses à deux pianos.  
L'intérêt qu'il porte à la danse, Reynaldo le doit essentiellement à son père, Carlos Hahn, grand admirateur d' Offenbach.
Dans son Journal, Reynaldo écrit : " Quand j'étais petit, c'est au son des refrains d' Offenbach que mon père me faisait sauter sur son genou droit. Dès ce moment-là, le rythme de cette musique s'est implanté dans ma mémoire... Le rythme qui est à l'origine de tout et en qui réside un éclatant symbole d'énergie, d'équilibre, de probité. " [3]
Ce rythme de la danse, ressort essentiel de l'opérette, Reynaldo le fera vivre dans tout son œuvre : aux œuvres pour piano succéderont les ballets et les comédies musicales.  

La musique pure, par contre, n'est pas la forme d'art préférée de Reynaldo ; il écrit dans une lettre à Édouard Risler :
-Tout cède au charme de la voix - a dit Banville : tout, c'est vrai ; c'est pourquoi, après avoir terminé de vagues besognes en faveur de vils instruments de bois et de boyaux de porc, je reviendrai et pour toujours à la divine voix... " [4]  

et plus loin :  

Je n'ai jamais ressenti, entends-tu, jamais, une émotion intérieure en écoutant une œuvre symphonique. Je ne suis ému qu'au théâtre ou lorsqu'il y a des paroles ! " [5]

Et pourtant Reynaldo nous a laissé de bien belles œuvres instrumentales : un merveilleux quintette pour piano et cordes (1921), une sonate pour piano et violon (1926), trois quatuors et pas moins de quatre concertos, c'est beaucoup pour qui prétend ne s'intéresser qu'à la voix humaine ! A toutes ces œuvres instrumentales il faut ajouter quelques œuvres pianistiques qui entrent dans la catégorie de la musique pure.

On conclura ce préambule en parlant des œuvres pour piano les plus caractéristiques et les plus intéressantes de Reynaldo Hahn, celles qu'il a lui-même appelés parfois ses "poèmes", c'est à dire les pièces évocatrices et "littéraires" du musicien-poète qu'il fut.
On a déjà remarqué la polyvalence de ses goûts esthétiques et surtout la primauté qu'il accorde à la littérature ; il écrit à Édouard Risler : " Tu aimes la musique par-dessus tout et je regrette de tout mon cœur de n'être pas comme toi. Il y a bien des choses que j'aime autant, je n'ose pas dire plus que la musique, et je rougis de mon aveu ; j'aime l'art dans son ensemble, dans la vision de tous les arts réunis. [6]
Son amour de la littérature le pousse à une profonde admiration de Schumann dont il écrit : " Quelle âme prodigieusement littéraire est la sienne ! Pour moi qu'obsède la réunion de la littérature et de la musique, une telle qualité est capitale. " [7]
Ces quelques citations mettent en relief l'importance de l'élément extra-musical dans l'œuvre de Reynaldo ; elles expliquent également la supériorité des compositions ayant un support littéraire (mélodies, opéras, comédies musicales, ballets, poèmes pour piano... sur les autres qui font souvent preuve d'une invention moins originale (concertos, certaines pièces de musique de chambre telle la "Sarabande et thème varié" pour clarinette et piano).  

Le voyage est une autre constante chez Reynaldo qui écrit : " Si je n'avais voué tant d'heures à la composition, il m'aurait semblé avoir passé mon existence à voyager. J'aime tout ce qui change autour de moi, tout en me laissant ‑ hélas ! ‑ pareil à moi-même. " [8]
Le "Rossignol éperdu" nous offre des souvenirs de toutes les beautés qu'il a découvertes, éparses dans le vaste monde : charme des soirées orientales, richesse des musées italiens ou majesté des cathédrales romanes.  

Ces œuvres poétiques s'échelonnent entre la dix-septième année et la trente-cinquième année du compositeur, c'est dire la distance qui sépare l'anodin " Au clair de lune " des dernières pièces du " Rossignol éperdu ".

 


[1] Ces recherches dans le cadre de l'écriture d'un mémoire de maîtrise ont débuté à la fin des années 70.

[2] Alfred Cortot : La musique française de piano, 2ème série. Paris, P.U.F. 1948 - p.65

[3] cité par Bernard Gavoty dans "Reynaldo Hahn, le musicien de la Belle époque'' Paris, Buchet - Chastel 1976 p. 25

[4] Bernard Gavoty op. cit. p.186

[5] Bernard Gavoty op. cit. p.60

[6]  Bernard Gavoty : op. cit. p. 129

[7] ibid. p. 135

[8]ibid. p. 222

 

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