Orient (Série n°II, Poèmes n°31 à n°36)
Poème n°31: En caïque (Le long de la côte d'Eyoub, 1906)
Cette
pièce est entièrement basée sur un ostinato rythmique et mélodique qui lui confère
le caractère incantatoire de 1a musique orientale; cet ostinato est confié à
la main droite qui accompagne la ligne mélodique de la main gauche
La cellule mélodique (arsis + thésis)
répétée inlassablement sur ce rythme régulier semble évoquer le mouvement
berceur et monotone du bateau.
Le caractère exotique est accentué par la présence de secondes augmentées; il
faut remarquer également les appoggiatures qui contribuent à l'instabilité du
climat harmonique.
La partie mélodique, confiée à la main gauche, est découpée en périodes caractérisées
par des cellules rythmiques différentes;
Ces trois formules sont combinées et modifiées au cours des quatre pages qui
constituent la pièce.
La mélodie au charme mélancolique et à l' orientalisme discret module librement.
La coda est basée sur le motif d'ostinato, d'abord en canon entre les deux mains,
puis en augmentation progressive (doubles croches, triolets de croches, croches
puis enfin noires.)
Avant
que de poursuivre la revue des pièces qui constituent la "série orientale"
du "Rossignol éperdu" il faudrait dire quelques mots sur l'importance
de l'orientalisme dans la musique française de la fin du dix-neuvième siècle
et du début du vingtième.
Plus que jamais la musique occidentale ressent le besoin de se ressourcer; elle
se dépayse de la tonalité classique en redécouvrant les richesses de son passé
ou les langages différents des pays lointains.
Si un certain orientalisme de bazar fleurit dès les années 1830 (cf.
les "Mélodies orientales" de Félicien David en 1836 ou "Le
Voyage en Chine " de François Bazin en 186S) il faut
attendre les deux Expositions Universelles de 1889 et 1900 pour que les parisiens
découvrent enfin les véritables attraits de la musique extra-européenne.
Tous les compositeurs sont attirés par ces langages nouveaux, par ces nouvelles
conceptions de la musique.
En 1896 Saint-Saëns compose son cinquième concerto pour piano dit "Égyptien",
Debussy écrit "Pagodes" ("Estampes" n°1) en 1903, "Et la lune descend sur le
temple qui fut" et "Poisson d'or" ("Images"
deuxième série n°2 et n°3) en 1907, pour Ravel,
c'est "Shéhérazade" en 1903 et pour
Reynaldo Hahn enfin un
ballet "Les fêtes de l'hymen et de l'amour ou les Dieux de l'Égypte" en 1909 puis "La Colombe de Bouddha" en 1921.
Poème n°32: Narghilé (Péra 1906)
Ce
poème porte en épigraphe un vers de Jean Moréas:
" La glycine, des vases bleus, pend. "
Reynaldo utilise ici un langage raffiné qui juxtapose tonalité et modalité. Cette forme ABA
oppose une mélopée très ornée à un thème
" occidental ".
A-
Cette première section présente une ligne mélodique fluctuante à la rythmique
très souple, dans le style d'un récitatif soutenu par quelques accords expressifs
(il faut remarquer l'accord de tonique avec sixte ajoutée par lequel commence
la pièce). L'harmonisation oscille sans cesse entre la modalité (ré mode de
ré) et la tonalité (la).
L'emploi
des secondes augmentées accentue l'orientalisme de cette mélopée nonchalante.
B-
La section centrale, contrairement à A repose sur une rythmique
stabilisée sur une cellule :
Ce
motif mélodique est développé, suivant le procédé classique des marches.
L'humour "satiste" de l'indication "occidentalement" avait
retenu l'attention de
Proust auquel Reynaldo
avait envoyé le "Rossignol éperdu"; citons un extrait de la
lettre que Marcel écrivit à Reynaldo en août-septembre 1912, mettant en évidence
le caractère littéraire de ce recueil:
" Petit Bunchtnibuls, Ma lettre pour toi vient encore de partir, et
je viens après de te recevoir. Merci mon bon genstil. Je n'ai pu jouer ton petit
Rossignol parce que je suis cousché mais j'ai lu titres, épigraphes, indications
(je ne sais si les pianistes à l'endroit où il leur est prescrit de jouer "occidentalement"
ne te demanderont pas quelques explications. Il est vrai que les explications
doivent être du genre de celles que tu crois bon pour plus de clarté d'ajouter
entre parenthèses telles que "(Rêveries de Calvin adolescent)", cela
ne les avancera peut-être pas à grand chose mais en tout cas cela leur clora
le bec. Et puis "occidentalement" a l'avantage qu'à côté de lui qui
songerait à s'étonner d "'argentin", de "flâneur", de "avec
une mélancolie moqueuse" etc."
A-
La mélopée est reprise, légèrement modifiée et superposée à un tintement de
cloche lointaine (sur la dominante).
La pièce s'achève sur l'accord de sixte ajoutée par lequel elle avait commencé.
Poème n°33: Les chiens de Galata (effet de nuit sur la Corne d'Or) (Galata, la nuit, 1906)
Cette pièce
est à mettre en parallèle avec les autres "nocturnes" du recueil: n°22 "Ouranos", n°24 "Effet de nuit sur la Seine" et n°34
"Rêverie nocturne sur le Bosphore".
Ce poème en Fa dièse est en deux parties:
A-
Un thème sombre et chromatique s'installe. dans le registre grave du clavier,
cette cellule mélodique répétée d'une façon obsédante servira de fond sonore
à la première section
La partie purement
mélodique de A
n'offre pas un grand intérêt.
B-
Cette deuxième section présente un équilibre ternaire : b1-b2-b1.
Sur un mouvement
calme d'accords brodés un thème s'installe "chanté, clair et triste"
Ce thème est ensuite repris en octaves. La section b2, également sur pédale de tonique, fait entendre une mélopée qui utilise la seconde
augmentée.
La coda est basée sur b1;
le motif s'éloigne peu à peu et finit par s'éteindre dans le grave du clavier.
Poème n°34: Rêverie nocturne sur le Bosphore (écrit en caïque, au clair de lune, 1906)
Cette seconde évocation
nocturne rapportée d'Orient par Reynaldo est beaucoup
moins convaincante que la première; l'inspiration mélodique est assez conventionnelle
et la section centrale de cette forme ABA
utilise un langage laborieux
et d'une complexité vaine.
A-
Un thème languide et nonchalant en si bémol tourne autour de la tonique, il
doit son caractère incantatoire à la répétition immuable d'un formule de deux
mesures
B-
Le thème, en tierces parallèles, est chromatique; il accorde une place importante
à l'intervalle de seconde augmentée.
A-
Le motif initial est d'abord réexposé en Si; il est ensuite repris dans le ton
principal sans aucune modification.
Poème n°35: La rose de Blida (1909)
Ces dix-huit mesures portent
en exergue une phrase de Baudelaire:
" Infinis
bercements du loisir embaumé... "
Par la simplicité de son écriture et la souplesse de sa rythmique cette pièce
rappelle le poème n°32 "Narghilé".
On retrouve ici le style de récitatif très orné accompagné, par quelques accords
simples (sur double-pédale) et ces tintements de cloche dans la coda.
Il faut remarquer, dans la coda, l'utilisation du motif secondaire pris en augmentation.
Poème n°36: L'oasis (Biskra, 1909)
Une courte forme
ABA d'une grande simplicité d'inspiration.
Le thème, en Sol, a la particularité d'être harmonisé par un accord de Do
Ce motif est énoncé une deuxième fois avec un contre-chant
au ténor.
B-
cette section centrale se présente sous la forme d'un minuscule thème varié:
le thème de deux mesures est suivi de trois variations ornementales qui conservent
l'accompagnement en quintes consécutives
A-
La reprise de l'élément initial suit également le principe de la variation:
le thème est d'abord superposé à une arabesque en triolets au soprano puis donné
en canon entre le ténor et le soprano.
Il faut remarquer dans toute cette petite pièce la stricte écriture à quatre
parties qui rappelle par sa simplicité les devoirs d'harmonie, mais les quintes
consécutives de la section centrale n'auraient peut-être pas été appréciées
par Théodore Dubois
(dans la classe duquel Reynaldo obtint un premier accessit en 1891).
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