Marcel Proust
Lettres à Reynaldo Hahn

VIII-5

[Vers le 12 janvier 1908] 1

 

 

Mon Genstil

 

Comment halsez-vous? Ne sortez pas par ce terrible froid 2. Je vous envoie petites fleurs gelées (j'espère qu'on vous a bien porté celles d'hier et ma petite lettre) pour vous tenir compagnie sans parler pendant que vous trabroulez 3. Je suis très fastiné, entouré de moschancetés et je ne crois pas que je me lèverai aujourd'hui non plus, à moins que Buncht ne veuille me voir. Mon rhume va bien et ce n'est pas cela qui m'empêche de me lever. Mais il est tard, on a cloué tout le temps 4 et par paresse je resterai si Buncht ne me désire pas. Mais si vous voulez que je vienne un peu bonsjouer, cela ne me gêne en rien, ne me fera aucun mal, je suis bien portant.

Adieu Genstil, si voulez me voir dites et dites

Votre

GUINIVELS.


 

1. Les allusions à " ce terrible froid " (note 2 ci-après), à la convalescence du narrateur (note 3), au bruit fait par les travaux chez les voisins (" on a cloué tout le temps ") (note 4) semblent situer cette lettre dans la première quinzaine de janvier 1908, vraisemblablement vers le 12 du mois.

2. Une période de froid intense sévit à Paris dans les premiers jours de janvier 1908; il est extrêmement rigoureux du 3 au 5 et du 10 au 16 du mois. Le Figaro en parle à partir du vendredi 3. Le lundi 6, on annonce que les victimes du froid ont été " encore plus considérables hier que les jours précédents ", donnant des détails sur les cas de morts.

3. Cf. l'allusion à la grippe du destinataire à la fin de la lettre au même que nous datons du vendredi 3 janvier 1908 ci-dessus. 4. Cf. la lettre à Mme Straus que nous situons peu après le 10 janvier 1908 ci-dessus, que Proust lui adresse afin de la remercier d'une démarche faite auprès des Sauphar pour obtenir une atténuation du bruit des travaux qu'ils font faire dans l'immeuble situé à côté de celui de Proust. Proust y écrit : "En ce moment il y a accalmie pour quelques jours car ils laissent sécher de la peinture avant de faire reclouer."