Marcel Proust
Lettres à Reynaldo Hahn

X-20

[Le lundi 21 février 1910] 1

 

 

Bunchnibuls,

 

 

Contrairement à ce que je vous ai fait dire vous pouvez venir jusqu'à onze heures, onze heures et demie.

Pardon mon bunibuls mais depuis une quinzaine de jours je ne suis pas bien, je suis obligé de me soigchner, j'ai un peu halbuminche 2 et comme grands travaux ici, me suis privé de prendre une miette et goutte de quelque aliment que ce soit pendant ces quarante-huit heures pour être reboulé tantôt. Ai fait et fait. Et maintenant les ouvriers ne sont pas venus 3! Et pauvre buncht s'est fastiné pour rien. Si ne craignais pas que mauvais pour mon état partirais Benise dont j'ai nostalgie, vous raspelez-vous 4. Si venez me voir aujourd'hui est-ce que vous avez Présents de Fauré pour chanster 5.

Je voudrais deux fauteuils pour Bady pour le mercredi ou Vendredi que boudrez 6. Donc tâchez que pas plus tard qu'onze heures ou onze heures et demie (il y a travaux tout-à-l'égout demain à l'aube 7).

B
   I
     N
         I
           B
              U
                  L
                     S


1. Hahn 176-177 (n° CXVI). Cette lettre date du lundi 21 février 1910: allusions aux travaux d'assainissement après l'inondation pour lesquels les ouvriers attendus " ne sont pas venus " (note 3 ci-après), aux " fauteuils pour Bady " (note 6).

2. Cf. à propos de l'albumine la lettre 19 à Montesquiou ci-dessus " Ces coups de marteau représentent la nécessité quotidienne de véronal, d'opium etc. et comme j'ai de l'albumine cela a amené mille maux. "

3. Cf. la lettre 19 à Montesquiou, que nous datons du dimanche soir 20 février 1910: " l'inondation a amené des travaux incessants, réfection des caves, tout-à-l'égout et demain lundi maintenant que c'est asséché commencent les plus grands ".

4. Allusion au séjour que Proust passa avec sa mère à Venise au mois de mai 1900. Marie Nordlinger raconte en effet comment elle, en la compagnie de sa tante et de Reynaldo, vit arriver à Venise Marcel et sa mère. Voir Cor, II, 30 et 397, note 2.

5. Les Présents, mélodie de Gabriel Fauré sur des paroles de Villiers de l'Isle-Adam, op. 46 dédié à Robert de Montesquiou. Voir Vingt mélodies.

6. Allusion à La Vierge folle, pièce en quatre actes d'Henry Bataille, dont la première représentation devait avoir lieu au théâtre du Gymnase le 25 février 1910. Berthe Bady (1872-1921), l'interprète coutumière des pièces de Bataille, y créait le rôle de Fanny Amaury, l'épouse d'un célèbre avocat qui séduit une jeune fille de l'aristocratie, Diane de Charance, d'où un drame déchirant.

7. Travaux remis au lendemain du jour prévu.