Marcel Proust
Lettres à Reynaldo Hahn

XI-6

[Peu avant la mi-janvier 1912]1

 

Mon cher petit Bi ni mels

 

Je viens de causer toute la nuit avec toi en te demandant : " Est-ce que joli? Est-ce que te plaît " sur le ton " François Tellec! Kimper! 2 "

Mais voici : j'ai reçu hier mastin un telegramme (?) de Guiche. Sa belle-mère (Duchesse de Gramont 3) ne t'a jamais henstendu, il lui a promis de " tenter de lui procurer etc. 4 (il ne spécifie aucun jour). Il me demande de lui dire s'il peut t'écrire, si tu n'en seras pas " froissé " (?) Dis-moi ce que le dois lui respondre. Je n'ai aucune opinion à émettre. Mais sauf en ceci que ta réponse doit, quelle qu'elle soit avoir un air " non froissé ". Car depuis ta réponse si légitime au jeune Louis René 5, toute cette famille depuis les plus vieux descendants de la belle Corisande 6, jusqu'aux alliés les plus lointains de la laide Corisande 7, toute cette famille ducale et gauche, te considère comme toujours " froissé " (?)

Ne te froisse pas et dis-moi ce que je dois répondre au fils d'Agénor.

Je te salue genstiment [.]

Mi-na-bels 8.


 

1. cp Lettre écrite l'avant-veille de la lettre suivante du même au même, lettre que nous situons vers la mi-janvier 1912; allusion au télégramme de Guiche et la note 3 ci-après.

2. Proust a dû passer la nuit à travailler à son roman. De temps en temps il s'adressait au destinataire. Nous ignorons à quoi la citation fait allusion. Il s'agit peut-être d'un souvenir du séjour en Bretagne en 1895.

3. Il s'agit de la troisième épouse d'Agénor, duc de Gramont, née Marie Ruspoli. Voir Cor, VII, 241, note 12.

4. Proust oublie de fermer les guillemets.

5. Louis-René comte de Gramont. Cor, IV, 351, note 7. - Nous ignorons à quel propos Hahn lui avait répondu.

6. Diane d'Andouins (1554-1620), qui avait épousé en 1567 Philibert de Gramont, comte de Guiche, décédé en 1580. Henri IV, alors roi de Navarre, la vit à Bordeaux et l'aima. On l'appelle la belle Corisande. DBHG, 1, 1317.

7. S'agirait-il de la comtesse de Brigode, née Corisande (le Gramont? Voir Cor, III, 344, note 6.

8. En bas de la signature, un dessin, et la légende :

 " Mon Dieu, cela n'est pas.
 L'agneau mystique ! "

Jules Lemaître