Marcel Proust
Lettres à Reynaldo Hahn

XVIII-343

Reynaldo Hahn à Marcel Proust

[Le 12 septembre 1911] 1

Que dites-vous, Buncht, de cette littérature 2 ? N'est-ce pas très Forgemol de Bostquénard 3 ? -

Lauris 4 m'a énormément parlé de vous ; il regrette de ne plus vous voir, etc. - D'ailleurs, à chaque instant on me parle de mon cher Bininuls.

Mon petit chouen 5 dépasse tout ce que l'imagination humaine a jamais pu concevoir en fait de tendresse, de gentillesse et de Bunchtisme. Mais il m'aime trop et souffre de tout ce qu'il prend pour un signe d'indifférence. Quant à moi, je suis métamorphosé en nounou, en infirmier, en papa, en maman, et ma vie n'est plus qu'une suite de devoirs humbles et minutieux tels que lavage des oreilles de Zadig, examen du caca de Zadig, bain de Zadig, pâtée de Zadig. Trop moschant.

Votre cher

Bininuls


 

1. Coll. Mme la marquise de Puységur. Lettre écrite sur un télégramme de la comtesse Greffulhe à l'adresse : « Mr Reynaldo Hahn Hôtel des Réservoirs Versailles » et le cachet postal : « VERSAILLES SEINE ET OISE 12 - 9 11 », départ de Boisboudran le 12. Doit dater du 12 septembre 1911, ou de peu de jours après.

2. Allusion au texte du télégramme de la comtesse Greffulhe, que voici : « Pas un cri pas un bruit[,] du soleil et des clairs de lune[,] le calme et le repos[.] Je suis seule ici jusqu'à la fin de la semaine et pense souvent que vous aimeriez peut-être partager ma solitude[.] Aussi je vous l'offre accompagnée de mes bien affectueux souvenirs. Greffulhe. »

3. Allusion, semble-t-il, à Edmond-Louis-Léopold Forgemol de Bostquénard (1851-1923), publiciste, poète, sénateur de Seine-et-Marne (1900-1909), député de Seine-et-Marne de 1910 à 1914, auteur d'un recueil de poésies intitulé Ghazels. Paris, Calmann-Lévy, 1881.

4. Depuis le mariage de Georges de Lauris, Proust le voit moins souvent, mais il lui écrit de temps en temps pour le mettre au courant du travail qu'il essaye de poursuivre sur son livre. Voir Cor X, pp. 337-338.

5. Reynaldo Hahn vient d'acquérir un petit chien du nom de Zadig. Voir Cor X, p. 374, note 2.