La
genèse de cette œuvre figure dans le journal de Reynaldo: " Obligé enfin de me mettre au morceau que j'ai promis à
Wurmser pour son concert, j'y pensais tous
ces jours-ci sans rien trouver de bien précis quand, avant-hier, je me suis
soudainement rappelé qu'il y a un an à peu près, j'avais un jour, à l'approche
du crépuscule, improvisé quatre mesures en regardant par la fenêtre ouverte;
j'étais dans un état d'âme particulièrement favorable bien que mélancolique
et, ne voulant pas risquer de gâcher cette idée de quatre mesures, je fermai
le piano et décidai de les développer plus tard, en me mettant, par dédoublement,
dans l'état d'âme où j'étais.
Le temps a passé sans que j'aie fait ce morceau, et voilà que ce petit thème
s'impose à moi depuis avant-hier, le désir de le retrouver, ma joie en le retrouvant,
les circonstances qui accompagnent ce retour, tout cela semble m'indiquer qu'il
faut que je fasse le morceau de Wurmser
avec ces quatre mesures. Le titre même de
ce morceau, inventé en hâte, sans précision avec ce caprice mélancolique qui
coïncide avec les sentiments dont j'étais plein lorsque je trouvais ces notes. "
[1]
Ces
lignes nous renseignent utilement sur la façon dont Reynaldo composait et sur
l'importance qu'il accordait à la spontanéité de l'inspiration, à l'improvisation.
L'improvisation joue dans cette pièce un rôle d'une importance jamais atteinte
dans les œuvres mentionnées jusqu'ici: cet "Andantino poétique" est
un dialogue des deux pianos, sur quatre idées thématiques, qui n'obéit à aucune
structure musicale préétablie.
Daniel Bendahan, biographe de Reynaldo, voit
dans cette œuvre l'influence de Chopin qui est décelable plus dans l'écriture
pianistique que dans l'inspiration mélodique et harmonique.
On
retrouve avec cette pièce le ton de Fa dièse cher à Reynaldo.
Le thème de quatre mesures dont parle Reynaldo dans son
Journal est exposé par le premier piano "rêveusement, sans beaucoup de nuances";
il a la simplicité mélodique et rythmique de certaines mélodies composées à
la même époque (cf. par exemple "Naguère au temps des églantines" sur
une poésie de Catulle Mendès) et la même harmonisation recherchée (la pièce
débute sur une septième d'espèce appoggiaturée du plus heureux effet)
Ce thème est l'objet d'un dialogue entre les deux pianistes, entremêlé de formules
cadencielles décoratives.
Le second élément thématique B oppose à la simplicité
du thème principal A un lyrisme expressif (à noter la présence de syncopes
fluides chères à Fauré)
Deux éléments secondaires sont encore exposés: C est soutenu par des
batteries d'accords, il présente un color descendant et une taléa syncopée;
D, motif qui ne reviendra
plus dans le cours de la pièce offre un joli canon entre les deux pianos.
La suite du "Caprice" développe essentiellement les deux premiers thèmes.
La coda se fait sur le thème A dans un dialogue entre les deux pianos.
Ce morceau de circonstance, dédié "à Messieurs Raoul Pugno et Lucien Wurmser" fut composé à Paris en Avril 1897 et édité par Heugel la même année.
(1) Reynaldo Hahn : Notes (Journal d'un musicien) p.56
Loading
|
This work is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial-NoDerivs 3.0 Unported License.