1 Chanson d'automne

Première des sept mélodies du recueil Chansons grises, p. 2-3, elle représentera le compositeur dans Autographes de Musiciens Contemporains - 1900, gros catalogue dressé pour l'Exposition Universelle de 1900 à Paris, réunissant grand nombre de musiciens contemporains de Reynaldo Hahn. C'est dire la popularité que connaît cette mélodie auprès du grand public.

CHANSON D'AUTOMNE

Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
Blessent mon cœur
D'une langueur
Monotone. 

Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l'heure,
Je me souviens
Des jours anciens,
Et je pleure ;

Et je m'en vais
Au vent mauvais
Qui m'emporte
De çà, de là,
Pareil à la
Feuille morte. [19]

 Analyse

Tonalité principale : do #      

Ambitus : fa x2  (1re mes.) - mi3  (3e mes.)

 Remarquable est l'utilisation répétée (6 fois) d'une formule mélodico-rythmique sans cesse modifiée dans le détail au profit d'une lecture littéraire appropriée. Ce côté statique dégage une atmosphère d'une inévitable " langueur ".


Tempo : Lent et triste

Ex. 1 : Chanson d'automne, mes. 9- 10.

L'élément mélodique épouse à chaque fois trois vers du poème. Il s'enroule implacablement, dans un intervalle extrêmement réduit de 3ce mineure, autour de la note pivot sol. Élément où une confusion tonale émerge (nous sommes en do #) : l'ambiguïté est due au fa x lu en tant que sensible de sol. Mais une seconde ambiguïté apparaît  autour de la note la : cette dernière se présente comme une note tonique, repère fixe dans cette mélodie sinueuse. Cette phrase évolue à chaque reprise sur un accord tenu, lui conférant un aspect très expressif : tout est dans la diction, non dans l'ampleur mélodique. Un travail sur les sauts de 6te, de 5te en fin de phrase, sur une note appoggiaturée, brise la factice monotonie en un déchirement délicat.

 La rythmique simple au demeurant, en croches principalement, joue subtilement par les accents (mes. 4), les silences, (mes. 15), les valeurs longues inattendues (mes. 8), ou bien par brisure en triolet (mes. 16), pour éviter un semblant d'ostinato compassé. Au contraire elle contribue, ainsi triturée, à une manifestation du malaise du poète par ses hésitations, ses arrêts, ses précipitations. Ce jeu reste subtil.

 La structure générale respecte celle de la poésie de Verlaine  : trois parties quasi identiques qui amplifient, par cette répétition statique, à la fois le caractère maladif, quasi oppressant, sans espoir aucun du poète, et cette nostalgie qui se dégage des choses qui passent.

Partie A, : mes. 1 à 7, en do# ;

Partie A': mes. 7 à 13, en fa#, modulation à la sous-dominante, pour la formule au piano uniquement ;

Partie A'' : mes. 13 à 19 : retour en do#.

 Chacune des trois strophes débute sur un effet a cappella qui a le mérite de placer la voix en première place, le piano n'étant présent que pour la soutenir discrètement par son harmonie.

 Cette première pièce ouvrant le recueil donne le ton : délicat, réservé. Elle fait preuve aussi d'un travail subtil digne du genre mélodique : Reynaldo Hahn  maîtrise parfaitement les écueils de la simple mélodie accompagnée.

 

2  Tous deux

Deuxième des sept mélodies du recueil Chansons grises, p. 4-7.

 La seule des sept mélodies portant une dédicace " à Louis MONTEGUT ". Reynaldo Hahn  parle ainsi de Louis Montégut  : " L. M., dessinateur, un des hommes les plus artistes, les plus vivifiants que j'aie connu. Léon Daudet  en a fait un portrait brillant dans Fantômes et vivants. " [20] C'est lui qui obtient d'Alphonse Daudet  son accord pour que notre compositeur, âgé seulement de 18 ans, puisse composer la musique de scène pour sa pièce L'Obstacle, en 1890. 

TOUS DEUX

 Donc, ce sera par un clair jour d'été ;
Le grand soleil, complice de ma joie,
Fera, parmi le satin et la soie,
Plus belle encor votre chère beauté ; 

Le ciel tout bleu comme une haute tente,
Frissonnera, somptueux, à longs plis
Sur nos deux fronts heureux qu'auront pâlis
L'émotion du bonheur et l'attente ; 

Et quand le soir viendra, l'air sera doux
Qui se jouera caressant dans vos voiles,
Et les regards paisibles des étoiles
Bienveillamment [21] souriront aux époux.
 

Analyse

Tonalité principale :    FA #

Ambitus : do# 2  (18e mes.) - fa# 3  (13e mes.) 

Mélodie heureuse, d'allure coulante, dégageant un bonheur insouciant. D'un tempo allant (sans lenteur) le jeu du piano baigne de façon stable le libre cheminement du poème.

 La formule mélodique qui se dégage au piano, et que nous appellerons X, donne une grande cohésion dans la couleur harmonique et l'unité structurelle lors du déroulement de la mélodie.

              Tempo : Sans lenteur [22]


 Ex. 2 : Tous deux, mes. 1-  4, motif  X.

 Son caractère léger est dû à son développement en courbe ascendant puis descendant, orné bien à propos par une appoggiature à son apex et stabilisé par une pédale légère (la dominante dans l'harmonie). Son rythme régulier et balancé amplifie cette atmosphère tranquille.

La mélodie vocale adopte une liberté étonnante, qui évite ainsi la répétition strophique, l'absence des départs sur les temps forts (le Donc initial est très représentatif, mes. 4). Elle utilise volontiers le style recto tono (mes. 35-38) pour briser une mélodie d'allure très ondoyante. La mise en valeur du mot Bienveillamment (mes. 41) est exemplaire : pour sa seconde répétition, entorse que s'autorise Reynaldo Hahn, le piano se tait pour laisser la voix à découvert. C'est un procédé cher au compositeur.

 La forme de la pièce A-A'-A'' est rattachée aux trois strophes du poème. Chacune d'elles adopte un plan quasi identique : l'élément X, mélodique, est répété deux fois (2 x 4 mesures) puis suivi par un léger développement (de 4 à 6 mesures) pour finir sur un accord suspensif d'une mesure et clore la strophe.

 Partie A : mes. 1 à 15, en FA # avec un emprunt à SI, la sous-dominante, où la pédale est fa# ;

Partie A', mes. 15 à 27, quasi identique ;

Partie A'', mes. 27 à 48 : Très proche de l'idée initiale ; cependant, mes. 38 à 42, la pédale disparaît au profit de notes graves tenues (si, la, sol) pour mettre en valeur le mot Bienveillamment.

 Cette seconde mélodie contraste doucement avec la première par son côté fluide, allant. La souplesse vocale se détache adroitement d'un accompagnement plutôt sécurisant. Elle amène l'auditeur à une sérénité plus tranquille.

 Ici le compositeur fait preuve d'une maîtrise certaine quant à l'imbrication étroite entre chant et piano.

 

3   L'Allée est sans fin.

 Troisième des sept mélodies du recueil Chansons grises, p. 8-9. 

Cette mélodie d'une grande délicatesse joue sur le chromatisme de son accompagnement, une pulsation instable des basses, la fragile partie vocale. Tout engendre cette demi-teinte si évocatrice du poème de Verlaine. Une tranquillité se dégage par la note grave, le si, sinon par la quinte à vide (si-fa#) qui lisse par sa perpétuelle présence le discours mélodique.

L'ALLÉE EST SANS FIN.

L'allée est sans fin
Sous le ciel divin
D'être pâle ainsi ;
Sais-tu qu'on serait
Bien sous le secret
De ces arbres-ci ? 

[Des messieurs bien mis
Sans nul doute amis
Des Royers-Collards,
Vont vers le château :
J'estimerais beau
D'être ces vieillards.] [23]  

Le château, tout blanc,
Avec, à son flanc,
Le soleil couché,
Les champs à l'entour.
Oh ! que notre amour
N'est-il là niché !

Analyse

Tonalité principale :    SI

Ambitus : do2 (11e mes.) - fa#3 (20e mes.)

La brièveté des quatre strophes retenues rend à cette pièce une juste concision. L'homogénéité de cette pièce est, une fois de plus, due à l'accompagnement  pianistique, avec une ritournelle qui se déroule maintes fois. En fait un halo musical baigne toute cette méditation.

Reynaldo Hahn  divise en deux parties A et A', presque semblables, le poème dont il regroupe les strophes deux par deux.

Partie A, mes. 1 à 12 : en SI.

Ostinato rythmique et harmonique, jouant sur les notes étrangères, amenées chromatiquement (sol#- la à la mes. 1 par exemple ; fa#-sol# -sol x- la aux mes.10-11). Une ritournelle qui se déroule sur 4 mesures circule presque en boucle fermée.

Partie A', mes. 12 à 26 : toujours en SI.

Cette seconde partie subit deux étonnantes modifications : une cadence évitée (mes. 18) et un arrêt momentané de l'ostinato pianistique (mes. 20-22). Elles sont amenées par une montée chromatique et discrète de la basse dès la mesure 17 jusqu'à la mesure 20 (si-do- do#- ré) des accords (mes. 17-19) de SI - DO 7 - FA# + 6 et prépare la partie conclusive par des accords arpégés ou tenus (SI - do# - FA#) soutenant la voix (mes. 20-21). La pièce finit alors en déroulant une fois de plus sa ritournelle.

La présence de la pédale de si parcourant la mélodie apporte une unité remarquable sur le plan tonal conforme à l'esprit poétique.

La partie vocale reflète cette division bipartite par des réminiscences mélodiques (mes. 5-6 = mes. 16-17) ; pourtant, comme à son habitude, la partie finale de la seconde, désireuse de mettre en évidence l'aspect conclusif du poème utilise le style récitatif non encore apparu (mes. 20 et 21), aux larges intervalles et à la brisure rythmique due à un triolet de noires. La chute poétique (Oh ! que notre amour/ N'est-il là niché !), une fois de plus, est mise en valeur par une tenue des accords qui ne troublent pas la voix placée ainsi en avant.


              Tempo : Presque Andante [24]

Ex. 3 : L'Allée est sans fin., mes. 20-22

Cette troisième mélodie du cycle, par son aspect sage, reposé, presque serein, s'inscrit dans cette subtile avancée méditative. Sa structure très simple, le sentiment de balancement perpétuel gardent l'auditeur dans une sorte d'ouate musicale qui ne dépare en rien celle des premières mélodies.

Ici Reynaldo Hahn  conjugue atmosphère évanescente et bercement lancinant avec raffinement.

 

4   En Sourdine

Quatrième des sept mélodies du recueil Chansons grises, p. 10- 13.

Elle est présentée en version pour cordes et piano par Henri Mouton, dans le recueil Mélodia  édité chez Heugel  et datée du 17 avril 1914, réédité jusqu'en 1931.

Voici la pièce centrale du cycle des Chansons grises. De part sa structure A-B-A, on pourrait lui conférer une place dominante dans l'architecture générale du recueil, avec cette partie B occupant la partie centrale de la mélodie. Cependant, rien, musicalement, ne précise à l'auditeur qu'il entend la pièce pivot du cycle. Bien au contraire elle adopte cette atmosphère délicate qui nimbe depuis le début ce cycle de mélodies.

Pourtant il nous faut le souligner : au vu de la structure génénale du recueil, Reynaldo Hahn  a pu lui-même y songer. (Cf. p. 15).

Son atmosphère rêveuse proche de celles des précédentes mélodies est due à la présence d'un ostinato au caractère balancé au piano, une rythmique vocale souple, quelque peu retenue, une harmonie extrêmement stable due à une pédale de tonique sur l'ensemble de la pièce. Rien ne semblerait briser ce déroulement dans lequel l'auditeur est déjà imprégné, si ce n'est cette partie centrale qui offre un autre paysage sonore volontairement contrastant quoique finement amené pour ne pas créer une réelle brisure.

En Sourdine

Calmes dans le demi-jour
Que les branches hautes font,
Pénétrons bien notre amour
De ce silence profond.

Fondons nos âmes, nos cœurs
Et nos sens extasiés,
Parmi les vagues langueurs
Des pins et des arbousiers.

Ferme tes yeux à demi,
Croise tes bras sur ton sein,
Et de ton cœur endormi
Chasse à jamais tout dessein.

Laissons-nous persuader
Au souffle berceur et doux
Qui vient à tes pieds rider
Les ondes de gazons roux.

Et quand, solennel, le soir
Des chênes noirs tombera,
Voix de notre désespoir,
Le rossignol chantera.

Analyse

Tonalité principale : LA

Ambitus : do #2 (8e mes.)       - fa #3 (41e mes.)

Cette mélodie possède une architecture interne qui mérite d'être examinée. Elle est divisée en trois parties, A-B-A',

1 - Partie A, mes. 1 à 17 : en LA.

À la main droite, un balancement régulier en blanches (accord de tonique suivi d'un accord de dominante, chiffré +6), à la main gauche, une arabesque à caractère obsédant qui se joue des temps forts sur une pédale de Tonique sur chacun des premiers temps de la mesure qui conforte un côté stable et régulier. Cette arabesque mélodique parcourt toute la partie A, en jouant sur un chromatisme descendant sur trois notes (do#, do, si) aussitôt corrigé par une montée tout autant chromatique (si, si#, do#). Elle devient un vecteur stable qui met en valeur la libre diction de la partie vocale.

2 - Partie B, mes. 17 à 31 : toujours en LA.

Deux légers emprunts en MI, mes. 23-25, et pour la seconde tentative, mes. 28-30, qui s'achève par une cadence évitée en DO (mes. 30-32). Ce changement de tonalité, sans lui ôter son caractère inattendu qui a un bel effet, est cependant tempéré par la reprise de l'ostinato de la partie A. Ainsi la transition se fait en douceur.

Cette partie se singularise aussi par l'apparition deux nouveaux motifs (a et b) qui vont la charpenter :

- Motif a (mes. 17) : son caractère chantant, large (il est même octavié), descendant (de la T à la D) le rend vite remarquable. Il va jouer un rôle important pour créer une unité à cette partie centrale : il revient à la voix (mes. 19 et à la mes. 21 quelque peu modifié), au piano aux mes. 26 puis 28 ;


                                   Tempo : Andantino très modéré [25]

Ex. 4 : En Sourdine, motif a, mes. 17.

- Motif b (mes. 20) : allure modeste, ascendante, en triolets qui le rendent furtif ; il revient sous cette forme rythmique à deux reprises (mes. 22 au piano, mes. 27 au chant), et modifiés deux fois, au chant (mes. 22 et 29).


                                   Tempo : Andantino très modéré

Ex. 5 : En Sourdine, motif b, mes. 20.

On peut déjà avancer que cette partie est remarquable par cette architecture interne, originale, grâce à l'imbrication de ces deux motifs.

3 - Partie A', mes. 33 à 44 : retour en LA

Comme dans toute forme da capo, Reynaldo Hahn  conserve le même esprit que celui de la partie A. Pour la conclure, il réutilise pourtant le motif b de la partie B (mes. 41). Le résultat est évident : cela renforce la cohésion de la pièce. En toute fin, à la mesure 42, réapparaît alors l'arabesque de l'introduction.

Le chant, comme pour les trois premières mélodies précédemment analysées, joue sur une diction claire, monosyllabique pour une parfaite compréhension du texte. Le sens de ce dernier et que veut bien lui donner Reynaldo Hahn,  est souligné par les emplois de recto tono (mes. 4-6), des intervalles étroits ou bien larges (saut de 7e aux mesures 25 et 40-41), des attaques évitant les temps forts (mes. 8 ou bien mes. 33 par exemple). Une entorse à la mesure originale en C pour un 3/4 à la mes. 25 prouve l'exigence de l'auteur à vouloir répondre à une diction précise, avec ses silences et ses durées, et non à devoir implacablement se plier à la carrure établie. Les indications d'interprétation affinent encore cette lecture (lourés aux mes. 13, 14 par exemple), de même que des silences expressifs (mes. 34). Mélodiquement, la présence du fa bécarre à la mes. 38 infléchit la phrase vers un " désespoir " évident.

Cette quatrième mélodie nous fait découvrir, par la subtilité dans sa structure, le grand attachement qu'apporte, une fois de plus, Reynaldo Hahn  à ce travail minutieux d'architecte.

 

5   L'heure exquise

Cinquième des sept mélodies du recueil Chansons grises, p. 14-16 ;

Voici assurément la plus célèbre des mélodies de ce cycle, mieux encore, la plus connue de toutes les mélodies de Reynaldo Hahn. Son important tirage, ses diverses adaptations et même le grand nombre d'enregistrements de cette mélodie nous le confirment [26].

Elle sera éditée en séparé le 14 mai 1895 à un grand nombre d'exemplaires jusqu'en 1940.

- Une version pour cordes et piano d'Henri Mouton  en n° 31 du recueil Mélodia  édité chez Heugel  le 20 juin 1914. (Cf. En Sourdine )

- Une version pour piano seul, en n° 8 du recueil Mélodies célèbres  réunissant trente quatre (34) mélodies de divers musiciens contemporains, éditée chez Heugel  le 22 mars 1923.

- Une version pour violon et piano toujours chez Heugel, le 14 décembre 1925.

- Éditée aussi aux États-Unis dans Twelve Songs by Reynaldo Hahn, chez Sergius Kagen [27], dès 1952.

Cette mélodie, par le bercement régulier de son accompagnement, sa prosodie tranquille, sa couleur tonale sage, stable, ne se démarque pas des précédentes : elle reste dans cette même couleur pastel, en demi-teinte blafarde. Ce qui la rend remarquable est sûrement la délicatesse de sa mise en expression de ces fins des strophes, aux valeurs étirées, songeuses, comme restant en suspens et qui laissent rêveur l'auditeur.

Ici, absence de procédés surexploités, absence de démonstration extériorisée : tout est dans la modération, l'équilibre fragile entre harmonie et mélodie. On peut agréablement s'étonner que si peu de moyen technique puisse faire tant d'effet sur l'auditeur.

L'heure exquise

La lune blanche
Luit dans les bois ;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée.
Ô bien-aimée.
L'étang reflète
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure.
Rêvons, c'est l'heure,
Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l'astre irise.
C'est l''heure exquise.

Analyse

Tonalité principale :    SI

Ambitus : si1 (11e mes.) - ré #3 (17e mes.)

Un balancement étalé sur deux mesures entre Ier degré et le VIe avec un arpège ascendant et une inflexion descendante en fin de 2e mesure, une harmonie épurée (quinte à vide à la  2e mesure) viennent bercer toute cette courte pièce.

Elle respecte la configuration du poème et se divise en trois parties : A-A'-A''. Chacune propose un développement toujours plus affirmé quoique subtil.

1 - Partie A, mes. 1 à 18. En SI. Construite sur cet arpège enrichi de notes de passage, où quelques degrés viennent briser la répétition tranquille (IIe à la mes. 9, IIIe à la mes. 13) la phrase finit sur une cadence IIe (mes. 13-14) àVe degré +7 (mes. 15-16) pour ensuite rester en suspens par un silence (presque toute la mesure 16).

2 - Partie A', mes. 18 à 30. En SI toujours. En fait, par effet de tuilage, cette partie débute à la mes. 17 alors que le chant de la partie A finit sa phrase sur les mes. 17-19. Cette adroite transition rend encore plus délicat le passage entre les deux strophes. La structure reste quasi identique à celle de A, hormis quelques variantes au piano (mes. 26) et sur l'accord du Ve degré, à la cadence de fin de partie, où les si et sol de la main droite, en notes appoggiaturées, viennent rendre encore plus instable cet accord suspensif.

3 - Partie A'', mes. 31 à 49. Un enchaînement d'accords plus varié, entraînant un passage modulant de la mesure 32 à la mesure 33 : accords de 7e, de 9e qui rendent les fonctions de tonique et de dominante très volontairement incertaines d'autant que l'arpège uniquement ascendant est réduit à une mesure (mes. 35-37) : tout concourt à une mouvante irisation harmonique. La cadence, encore plus étalée que les précédentes, sur sept mesures : IIe (mes. 38-39) àVe (mes. 42-43) àIer (mes. 44) étire à l'infini le ravissement dans lequel plonge notre poète "C'est l'heure exquise."

La reprise de l'arpège clôt, tranquillement, alors, la mélodie.

La partie vocale reste ténue : elle module essentiellement entre ré# et fa#. En première partie un bel exemple de statisme créé par une métrique sobre, un intervalle de 3ce mineure qui ponctue régulièrement chacun des vers, après la diction des trois premières syllabes sur la note ré# :

La lu - ne blanche        /           Luit dans les bois      /   etc.

Cet effet n'est pas sans rappeler les premières mesures de L'Allée est sans fin., et de En Sourdine.

Nous pouvons déjà dire que la retenue d'expression du poète et l'intimité requise ne se dévoile que dans un ambitus restreint.

De fins changements en duolets (mes. 6, mes. 24 par exemple) viennent rendre la diction encore plus flottante, plus chargée d'une hésitation contemplative. Pour mettre en évidence le vers isolé entre chaque strophe du poème, Reynaldo Hahn  développe à chaque fois sa présentation, sur trois éléments : intervalle, durée, note étrangère.

- Mes. 16-19, "O bien aimée" : un saut de 6te (ai - mée), une durée de 9 temps et s'achevant sur une note (ré#) appartenant à l'accord de tonique.

- Mes. 26-30, "Rêvons, c'est l'heure" : deux grands intervalles une 6te ascendante ( vons), puis une 9e descendant (- vons c'est l'heure), une tenue sur 10 temps si l'on tient compte des deux valeurs longues sous les syllabes vons et heu - re, et du retard, sur le 1er temps de la mes. 30, note étrangère qui retarde un peu plus une résolution bienfaitrice.

- Mes. 42-44, "C'est l'heure exquise" : saut de 7e entre ex et qui (se), sinon d'une 9e entre c'est et ex-qui-se, d'une durée totale de 12 temps, avec deux appuis sur des notes étrangères : une 6te de l'accord de Ve (le à la mesure 42) et le retard (do#, mes. 44) sur l'accord de Ier degré. Ces deux fausses conclusions font désirer encore plus cet apaisement vers lequel semble tendre le poète.


                                      Tempo : Infiniment doux et calme [28]

Ex. 6 : L'heure exquise, mes. 38- 44.

L'ensemble de cette œuvre dégage un fort sentiment de repos intérieur, un ravissement tranquille d'avoir pu, enfin, saisir l'instant présent si fugitif. Cet apaisement intérieur souligné aussi par l'infiniment doux et calme au début de la partition, le discret (mes. 20), le Plus calme encore à la mes. 32 semble assurément avoir été atteint au travers de cette page.

Voici une pièce digne du genre par sa concision comme par sa justesse : ce mariage toujours fragile entre musique et texte est ici, sans conteste, réussi.

Scan10006 copie

Doc. 9 : Première de couverture de l'édition en séparé

des Chansons grises. Heugel  et Cie, cote 7784

1891

 

 

6   Paysage triste

Sixième des sept mélodies du recueil Chansons grises, p. 17-19.

Voici une curieuse mélodie, non pas tant par l'atmosphère qui s'en dégage (elle ne détonne pas avec celle des précédentes) que par son écriture linéaire qui déroute. L'auditeur, bercé par une certaine régularité dans l'écriture formelle depuis le début du cycle, découvre ici une composition qui interpelle plus qu'elle ne conforte. L'effet reste atteint et le laisse dans un expectatif retour qui ne viendra pas. Toujours est installé ce décor aux teintes "blêmes", "embrumées", où le doute reste invariablement latent.

Paysage triste

L'ombre des arbres dans la rivière embrumée
Meurt comme de la fumée
Tandis qu'en l'air, parmi les ramures réelles
Se plaignent les tourterelles.
Combien, ô voyageur, ce paysage blême
Te mira blême toi-même
Et que tristes pleuraient dans les hautes feuillées
Tes espérances noyées !

Analyse

Tonalité principale :    SOL b

Ambitus : mibb 2 (18e mes.) - mib3 (25e mes.)

La mélodie se bâtit en deux parties, A et B, suivant en cela le poème : l'une étant une longue introduction au caractère méditatif, l'autre un épanchement plus affirmé.

Partie A, mes. 1 à 14 : tonalité de SOL b.

Quelques arpèges ascendants, un peu torturés, s'égrenant sur deux mesures, dans un tempo lent, entrecoupés d'étonnantes plages de silence charpentent cette première partie où deux phrases mélodiques presque semblables (mes. 1 à 8 et mes. 8 à 14) s'étirent tranquillement. Degrés simples (I, VI, IV) et accords parfaits soutiennent sobrement le chant dans son début, puis deviennent plus instables (mes. 11 - accord de tonique renversé sur fab - mes. 12 avec un accord de MI b) pour revenir, sans cadence préparée, en SOL b (mes. 13).

Partie B, mes. 14 à 33 : en SOL b.

Introduite et close par une ritournelle lyrique (mes. 15-18 et 30-33), au rythme incisif, cette partie expose une déclamation plus ferme toujours soutenue par un accord ascendant s'égrenant cette fois sur deux temps lui conférant une allure plus dynamique.

Cette ritournelle se retrouve mes. 24-25 et 26-27, aux rythmes certes plus souples mais qui conserve son allure franche par une écriture harmonique verticale, le tout sur une pédale de dominante (mes. 24-27).


                          Tempo : Plutôt lent

Ex. 7 : Paysage triste, mes. 15- 18.

Le chant offre un bel exemple de recto tono, dans sa première partie, remarquable ici par sa durée (mes. 2 à 4, 17 syllabes) ; Reynaldo Hahn  utilise un procédé qui nous est déjà connu : sur la dernière syllabe, la phrase finit par une 3ce ascendante (cf. L'Allée est sans fin., En Sourdine, L'heure exquise). Puis il adopte un caractère proche du récitatif (mes. 18-22) d'autant qu'il est à peine soutenu par quelques arpèges entrecoupés par des silences (mes. 19, 21).

De la mes. 25 à la mes. 29, il reprend la partie du piano, à l'aspect plus lyrique. Il gagne ainsi un sentiment très expressif, affirmatif qui redouble la chute poétique en une plainte, en valeurs longues (espéren - - ces noyé - - es).

 

 

7   La bonne Chanson

Septième des sept mélodies du recueil Chansons grises, p. 20- 23.

Cette dernière mélodie du cycle répond à l'attente d'une telle position : son ton est fier, presque triomphal : elle contraste avec la tempérance des sentiments musicaux exprimés dans les pièces précédentes. Il s'en dégage sans conteste un sentiment d'assurance rempli d'optimisme. Un piano ferme, une ligne mélodique nette, une tonalité franche la rendent chaleureuse.

La bonne Chanson

La dure épreuve va finir :
Mon cœur, souris à l'avenir.
Ils sont passés [29] les jours d'alarmes
Où j'étais triste jusqu'aux larmes.
[Ne suppute plus les instants
Mon âme, encor un peu de temps] [30]
J'ai tu les paroles amères
Et banni les sombres chimères.
Mes yeux exilés de la voir
De par un douloureux devoir,
Mon oreille, avide d'entendre
Les notes d'or de sa voix tendre,
Tout mon être et tout mon amour
Acclament le bienheureux jour
Où, seul rêve et seule pensée,
Me reviendra la fiancée !

Analyse

Tonalité principale : DO        

Ambitus : mi2 (2e mes.) - fa3 (29e mes.)

Sa structure interne joue sur une certaine incertitude. Au premier abord, elle pourrait se rapprocher de la forme Couplet-Refrain, la répétition de la ritournelle introductive jouant le role du refrain. Malgré cela on peut y décerner une forme A-B-A'. En vérité l'ambiguïté persiste : il faudra retenir seulement que cette ritournelle est l'élément qui donne une cohérence forte à cette mélodie. Par ce côté insistant Reynaldo Hahn  donne à cette dernière pièce un côté affirmatif et extrêmement conclusif.

- Partie A, mes. 1 à 19 : de DO à SOL.

La présence de la ritournelle - a - passe du piano [a] au chant (a). De même la formule au chant, b, circule du piano [b] au chant (b) :

Subdivision : [a] - a + [a] - b - [a écourté] - c - [a] - b - [b simplifié].


                          Tempo : Modéré

Ex. 8 : La bonne Chanson, ritournelle au piano, mes. 2-3.

Deux sous-parties (mes. 1- 11 et mes. 11- 19) similaires : la ritournelle, au piano, reprise par le chant au caractère décidé ; des accords pleins et une mélodie bien dessinée, des degrés aux cadences soulignées (DO, puis SOL puis DO aux mes. 1- 11 ; DO puis FA puis SOL aux mes. 11-19) confortent cette franche carrure.

- Partie B, mes. 19 à 31 ; en DO avec une partie chromatique bâtie sur les degrés I, IV, V.

Subdivision : d - d'- d'' - d''' - e.

La partie piano conserve la rythmique de [a]. Mais la grande différence vient de la partie vocale, de style plus sage, en recto tono (mes. 19- 23) puis montant progressivement, sur un accompagnement chromatique dynamique, vers la note fa (mes. 29), note la plus aiguë de la mélodie. Cette partie chantée peut être rapprochée à celle susnommée (c) qui aurait été élargie, dilatée dans le temps.

- Partie A', mes. 31 à 45, en DO.

Subdivision : [a] a b'.

C'est la coda de A, suivie d'une partie conclusive, mes. 36-45. Par sa relative ampleur, son ton triomphant, ses accents victorieux, ses triolets aux basses qui rappellent le roulement des timbales, elle renforce à la fois le sentiment d'heureux réconfort de la mélodie et clos magistralement tout ce cycle de sept mélodies par un élan quasi naïf.

La partie vocale adopte une démonstration généreuse. D'allure ascendante, aux accents conclusifs bien marqués, elle éclaire par ce ton brillant l'espoir de poète. L'apex de la partie repose sur le mot acclame (mes. 29-30), ce qui est très significatif de cette affirmation de cœur.

Le titre choisi original était Allégresse [31] ; le compositeur, tout en reprenant le titre du recueil de Verlaine  d'où il a extrait trois de ces poèmes, voulait assurément signer ici une conclusion volontaire, remplie de joie et de soulagement.

 


[19] Le texte ainsi présenté respecte la ponctuation et la présentation de Paul Verlaine. Nous pouvons alors mieux juger de la lecture qu'en fait Reynaldo Hahn.

[20] Cf. Reynaldo Hahn, Notes, journal d'un musicien, p. 290, note.

[21]   Le mot est répété deux fois dans la mélodie.

[22] Sur la partition manuscrite il est écrit : Assez lent.

[23] Strophes écartées par le compositeur.

[24] Sur le manuscrit l'auteur ne précise que Andante.

[25] Sur le manuscrit, R. Hahn avait écrit : Lent et doux.

[26] Se repporter aux annexes.

[27] New York, International Music Company, 1958-1960.

[28] Le manuscrit indique : Andante dolcissimo.

[29] R. Hahn emploie  " finis " dans la partition.

[30] Strophe écartée par le compositeur.

[31] Cf. la partition manuscrite.

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