Dans cette page nous allons essayer de dégager les traits caractéristiques de la personnalité et de la vie de Reynaldo Hahn après avoir brièvement étudié ses années de jeunesse dans la mesure où elles contribuent à éclairer sa formation artistique.

Reynaldo Hahn, le "vénézuélien de Paris", ne passa que quatre années à Caracas où il naquit le 9 août 1874. Dès 1878 toute la famille Hahn est installée à Paris ; grâce à la fortune immense de Carlos Hahn et aux talents de femme du monde de son épouse, les portes des salons parisiens les plus élégants s'ouvrent devant les vénézuéliens.

L'éveil musical de Reynaldo, favorisé par son milieu familial s'est depuis longtemps révélé ; son père -qui fit construire en 1853 le Grand Théâtre de Caracas -  lui transmettra son amour de l'opéra ; Reynaldo écrira plus fard : "Les personnes de la génération de mon père auraient plutôt douté du système solaire que de la suprématie du " Prophète " sur tous les opéras existants." [1]                    

Outre l'opéra, le piano est très à l'honneur dans la famille Hahn ; les nombreuses sœurs de Reynaldo, élevées en futures femmes du monde, se sont mises très tôt au clavier, instrument symbole de la mélomanie bourgeoise. Le jeune "Nano" suivra bientôt leur exemple, il confiera plus tard :  " Je crois bien qu'à trois ans, haut comme le tabouret du piano, je savais déjà poser mes doigts sur le clavier. A cinq ans, j'en ai le souvenir précis, je jouais pour la joie des miens et à ma vive satisfaction. A huit ans, je composais. Une maîtresse de piano italienne m'apprit très jeune, à écrire la musique. Et comme, dans ma petite cervelle, chantaient déjà des airs,  je les transcrivais avec cet orgueil de fixer sur le papier une chose durable ". [2]

Enfant-prodige ? Ces dernières lignes le laissent supposer ; par bonheur les talents naissants du jeune Reynaldo ne seront pasexploités par des parents indignes ; bien au contraire la famille Hahn voudra développer les dons qu'elle décèle dans son fils : pour cela elle le conduit au Conservatoire à la rentrée de 1885. Il y étudie le solfège avec Lucien Grandjany et le piano avec Émile Decombes. [3]

Deux ans plus tard (Reynaldo a maintenant douze ans), Grandjany et Dubois le recommandent à Massenet comme un élève exceptionnel et le grand Maître décide de l'accepter dans sa classe de composition malgré son jeune âge ; il devient ainsi l'unique élève qui, au Conservatoire, étudie à la fois le solfège, l'harmonie et la composition. [4]

Dans la classe de Massenet il eut entre autres pour camarades Gustave Charpentier, Florent Schmitt, Charles Levadé.

Les résultats de ses années d'études sont bons sans pour autant se signaler exceptionnellement :

Hahn (Reynaldo), né à Caracas, 9 août 1875 ­

Solfège : 3° méd. 1890
Piano préparatoire : 3° méd. 1888
Harmonie : 1° acc. 1891 [5]

 

Le Palmarès n'indique pas de récompense en composition ; en effet Massenet déconseilla vivement au benjamin de ses élèves - qu'il affectionne pourtant - de présenter le Concours de Rome, lui donnant trois raisons :  "  D'abord Reynaldo, tu n'es pas français [6] , ensuite tes parents sont fortunés et on t'en voudrait d'avoir pris la place d'un de tes camarades. " [7]

Si ses études ont présenté un certain dilettantisme il est sûr que la position sociale de ses parents y est pour beaucoup ; en effet l'avenir matériel de Reynaldo était en principe assuré grâce à Carlos qui s'employait activement à faire fructifier la fortune qu'il avait rapportée du Venezuela.

Pour nous résumer, Reynaldo Hahn fit des études musicales plus pour cultiver des dons naturels et développer sa personnalité d'artiste que pour obtenir un profit direct ou s'assurer une situation autonome.

Outre le Conservatoire, les salons qu'il fréquente dés son plus jeune âge ont joué un grand rôle dans sa formation intellectuelle; c'est là qu'il rencontre les personnalités artistiques -littérateurs, peintres, musiciens... - au contact desquelles il acquerra une culture extraordinairement étendue et éclectique.

" Sa nièce, Madame la Comtesse de Forceville, nous disait que son oncle "Nano"  était en vérité un autodidacte : sa grande formation intellectuelle, il l'avait acquise grâce à une prodigieuse mémoire alimentée par la lecture et l'observation. " [8]

Si les talents d'écrivain de Reynaldo sont incontestables, il ne faut pas oublier qu'il n'a " même pas passé son  Bac ", comme il aimait à le rappeler souvent  " étant entré au Conservatoire à dix ans je n'ai pas eu le temps de faire des études et le français n'est même pas ma langue maternelle ". [9]

Il est intéressant de noter dés à présent que Reynaldo vivra autant de sa plume d'écrivain que de musicien.

Pour dresser un inventaire aussi complet que possible des nombreux talents de cet artiste il faut bien sûr commencer par parler des dons musicaux qu'il développa durant toute sa vie sans pour autant chercher à se spécialiser dans un domaine trop défini.

Il faut parler en premier lieu de l'amour du chant et de la voix humaine qui est un des traits primordiaux du personnage.

 

Ses débuts de chanteur mondain remontent à sa plus tendre enfance en 1881 - Reynaldo a six ans - il est reçu chez la Princesse Mathilde, cousine de Napoléon III et personnalité marquante de la noblesse d'empire; cette séance durant laquelle il chante de sa voix d'enfant en s'accompagnant lui-même au piano des airs d'Offenbach est "prémonitoire de tant d'autres au long desquelles Reynaldo (...) tiendra ses auditeurs sous le charme en chantant toute la musique qu'il a dans la tête."  [10]

"  Il avait débuté ses études de chant encore enfant quand son maître Lucien Grandjany découvrit qu'il avait une ample voix de soprano qui montait facilement jusqu'au contre-ré. " [11]

Après la mue cette voix enfantine céda la place à une voix de baryton-martin "  fine, point très volumineuse, souple comme une herbe, conduite avec une merveilleuse intelligence, une divination réfléchie. " [12]

Reynaldo ne sera jamais un chanteur professionnel, au public des salles de concert il préférera celui des salons ; il expliquera ce fait dans un chapitre fort intéressant de son livre intitulé "Thèmes variés ".

Sa passion du chant nous vaut une grande partie de sa production de compositeur : ses mélodies et ses opéras tout d'abord puis ses opérettes et ses comédies musicales.

En outre il, s'intéresse de très prés aux problèmes de la technique vocale et de l'interprétation du chant, abordant un répertoire des plus variés. [13] Nous pouvons avoir un aperçu de la diversité des sujets qu'il aborda lors des conférences à  l' Université des Annales  dans le volume intitulé "Du chant". [14]

Reynaldo assura durant l'année 1920/1921 un cours d'interprétation du chant à l'École Normale de Musique qui venait d'être fondée par Alfred Cortot et quand le ténor Jean de Reszke " se retira de la scène et ouvrit son école de chant à Nice il l'aida en tant que répétiteur ". [15]

Dans son Journal, Reynaldo nous parle des déboires qu'il eut avec certaines de ses élèves :  " Donner des leçons de chant à une jeune fille peu douée est une piètre occupation et que seul peut justifier l'amour du lucre. Il faut renoncer à faire entendre à ces cerveaux parfois dociles mais généralement médiocres, le plaisir infini qu'il y a à bien chanter. " [16]

Je demande un châtiment sévère pour les jeunes filles qui chantent mal, quand elles ne sont pas ravissantes ; la peine de mort pour celles qui s'accompagnent elles-mêmes en regardant la musique, sans mettre la pédale ; la peine de mort, précédée de flétrissure publique et de torture pour celles qui s'accompagnent par cœur en faisant de fausses basses et en mettant la pédale tout le temps. " [17]

La passion de Reynaldo pour la voix et le théâtre lyrique nous amène également à dire quelques mots de sa carrière de chef d'orchestre.

 

Fervent mozartien, il est invité au "Festival de Salzbourg " de 1906 pour diriger "Don Juan" ; à ce propos il faut donner un exemple du purisme de Reynaldo : il travailla longuement sur le manuscrit du Conservatoire et fit rétablir la scène finale de l'opéra qu'une tradition française avait écartée.

Il confie dans une lettre à son ami Édouard Risler : " Je suis le plus jeune chef invité à Salzbourg : me voici classé parmi Hummel, Mottl, Mahler et M. le Professeur Richard Strauss... C'était hier la "première". Délire, délire ! (... ) Un imprésario m'a proposé une tournée aux États-Unis. [18] Cela c'est la petite histoire. La grande affaire, c'est que Mozart a été, je crois, bien servi. Tu sais que je me juge plutôt sévèrement. Eh bien -oui, je puis le dire - j'étais assez content ! " [19]

Outre Mozart qu'il dirigea également à Paris lors de son directorat de l'opéra (en 1945/46) Reynaldo tira de l'oubli "Joseph", opéra de Méhul créé en 1807 et repris le 7 Juin 1946 sous sa direction.

Il mettra également sa baguette au service de ses propres œuvres tant lyriques qu'orchestrales : en 1941 il dirige à Cannes des reprises de "L'île du Rêve" et de "Ciboulette et en 1937 son poème symphonique "Laure et Pétrarque".

On pouvait lire dans le ''Ménestrel'' du 23 Février 1907 :

" M. Reynaldo Hahn a inauguré  jeudi en matinée d'intéressants concerts d'orchestre au Théâtre Réjane. Le succès fut des plus vifs et l'on acclama fort le remarquable chef d'orchestre qu'est M. Reynaldo Hahn. "

Citons pour finir une tournée en Égypte en 1938 durant laquelle il fit applaudir des opéras-comiques et opérettes français.

La silhouette de Reynaldo Hahn-pianiste est moins facilement cernable car, n'étant pas un virtuose, il ne s'est jamais produit dans des concerts publics ; les traces de son activité de pianiste sont donc pratiquement inexistantes.

Son biographe Daniel Bendahan consacre quelques pages de son ouvrage à ce problème :

" Comme pianiste il avait une technique extraordinaire et ses contemporains se rappellent les effets spéciaux qu'il obtenait grâce à sa maîtrise dans le maniement de la pédale. Cette maîtrise de l'instrument lui permettait en outre de réaliser les nuances les plus diverses et on pouvait souvent observer comment ses mains effleuraient à peine le clavier pour suggérer les idées sonores et dans d'autres moments comme le disait Proust : "  les bougies se tiennent à peine quand tu joues ces accords en laissant tomber tes mains d'une hauteur de deux mètres ".

Pour nous donner une idée de Reynaldo Hahn, pianiste, nous dirons qu'il n'avait pas encore quinze ans quand la Reine Victoria l'entendit jouer des morceaux d'une virtuosité reconnue. Mais à vrai dire il ne voulut pas sacrifier sa carrière de compositeur à la gloire qu'il aurait obtenue en tant que pianiste.

Plus tard, alors que son nom était déjà fameux dans toute l'Europe, il utilisa le piano pour présenter ses compositions, en accompagnant sa propre voix ou, comme pour la création du "Bal de Béatrice d'Este" dans les salons de la Princesse de Polignac, circonstance lors de laquelle il dirigea l'orchestre, en même temps qu'il exécutait la partie de piano, à la manière de Mozart. [20]

Magda Tagliaferro, pianiste préférée de Reynaldo m'a confié de nombreux souvenirs sur sa longue amitié avec l'auteur du "Rossignol éperdu"; j'ai abordé devant elle le problème de Reynaldo Hahn-pianiste et elle m'a affirmé qu'il était peu fréquent que Reynaldo, même dans un milieu amical et restreint, se mît au piano pour jouer un morceau dans son intégralité ; il préférait de beaucoup jouer à quatre mains, accompagner une chanteuse ou un instrumentiste ou bien encore chanter lui-même en s'accompagnant comme nous l'avons déjà noté.

Si Magda Tagliaferro nous a vanté la délicatesse du toucher de Reynaldo et la simplicité de son jeu, c'est surtout sur ses talents d'improvisateur qu'elle a attiré notre attention (chose dont on ne parle pas souvent) ; la position de R.H. devant le clavier n'est pas celle du pianiste mais celle du créateur, du compositeur ; c'est pourquoi bon nombre de ses œuvres pour le piano ont le charme spontané et fantasque de l'improvisation.

Nous avons mentionné plus haut une autre facette de la personnalité artistique de Reynaldo, toujours reliée à son amour du chant, nous voulons parler de son importante activité de pianiste accompagnateur.

Il est difficile d'imaginer, de nos jours, l'importance qu'occupait la musique vocale dans les salons de la fin du siècle dernier : on y rencontrait de nombreux chanteurs-amateurs - race aujourd'hui presque entièrement disparue -; les écoles de chant prospéraient et se multipliaient (il n'est qu'à parcourir "Le Ménestrel" des années 1900 pour s'en apercevoir).

Reynaldo accompagna donc de nombreuses chanteuses dans les salons qu'il fréquenta. Pour éviter une énumération fastidieuse de dates et de noms nous ne citerons qu'un seul exemple qui fut marquant pour lui ; voici ce qu'il écrivit de Madame Jean de Reszke, femme du célèbre ténor : "  En elle, tout était beau, séduisant, raffinée harmonieux; son prodigieux visage, son regard lumineux et sombre, son ravissant et triste sourire, son port de tête et son allure, d'une distinction unique. Quant à sa voix, je n'en ai jamais entendu, et je doute qu'on en entende jamais de semblable. Elle était imprégnée de mystère, comme le chant même auquel elle prêtait son sortilège. C'était une émanation magique un arôme enivrant. Le son en était à la fois vaporeux et doré. Et cette voix, en outre, était douée d'une agilité qui lui permettait d'exécuter avec aisance les traits de la musique italienne. Elle chantait Schubert, Schumann et Gounod mieux que personne. Ajoutez qu'elle savait tout par cœur et qu'elle pouvait donner à l'improviste n'importe quelle réplique de Tristan, des Maîtres Chanteurs et de la Tétralogie, comme de n'importe quelle opérette viennoise, dans le texte original, bien entendu. Elle n'avait jamais pris de leçons proprement dites et n'était élève que de Dieu... " [21]

Vers la fin de sa vie Reynaldo eut un rôle d'accompagnateur plus officiel ; en effet il fit plusieurs tournées de concerts avec la jeune Ninon Vallin, chanteuse qu'il avait lancée et qui était - avec Magda Tagliaferro - son interprète préférée.

Quittons maintenant l'aspect purement musical du personnage pour aborder une face aussi importante de sa personnalité, nous voulons parler du personnage littéraire car, comme le dit Bernard Gavoty " Reynaldo Hahn est un musicien de culture universelle, qui a choisi la musique pour moyen d'expression et qui aurait pu aussi bien être médecin,  homme de lettres ou simple dilettante. " [22]

C'est d'abord au brillant causeur qu'il faut penser quand on parle de Reynaldo Hahn, à cet autodidacte vénézuélien qui fit la joie des salons parisiens les plus fermés tant par sa musique que par sa conversation.

Reynaldo est un bon exemple de l'homme du monde à l'humour caustique si "parisien" , toujours à l'affût des derniers potins ; on s'arrachait ses "bons mots". Pour retrouver cette atmosphère délicatement médisante il faut lire les œuvres de Jean Lorrain, Robert de Montesquiou, Paul Hervieu et bien sûr Marcel Proust.

Nous retrouvons également le brillant causeur sur les estrades pour des conférences qu'il prononce dans toute l'Europe et même au-delà (Londres, Bucarest, Alexandrie, Constantinople et Paris bien sûr...)

Un exemple : Le "Ménestrel" du 29 Juin 1907 annonçait :

"  Monsieur Reynaldo Hahn fera prochainement deux conférences à Londres chez Lady Sassoon. Les deux sujets choisis sont "L'évocation par la musique" et "les mélodies de Gounod". Ces conférences seront accompagnées d'auditions. "

Pour pouvoir juger de la qualité et du charme de ses exposés il suffit de lire son ouvrage intitulé "Du chant" : toute la spontanéité et la finesse qui devait émaner de pareilles causeries est conservée dans ce recueil.

22 Octobre 1920 : Nos abonnés à la musique pourront apprécier Reynaldo Hahn comme musicien et comme écrivain. Chez l'un et chez l'autre ils constateront le charme et la grâce que vient souligner une pointe d'émotion. "

Ce petit texte présentait une mélodie qui parut dans le "Ménestrel" : "Sur l'eau dormante".

Reynaldo-poète. Voilà un aspect tout à fait méconnu de l'homme. Malheureusement la Bibliothèque Nationale n'a pas conservé le supplément musical qui contenait ce document pour le moins original.

Il faut signaler que Reynaldo fit également œuvre de traducteur : " J'ai (... ) traduit "Le Poltron"; cette traduction, publiée d'abord par la "Revue hebdomadaire" a paru en volume chez Fayard. " [23] (Il s'agit d'un roman de l'écrivain anglais Robert-Hugh Benson.)

Parlons maintenant de la carrière de critique musical de Reynaldo ; elle s'échelonne sur pratiquement toute sa vie. Débuts à vingt-quatre ans dans "La Presse", ensuite "La Flèche" de 1904 à 1905 puis "Fœmina" de 1908 à 1910  "Le Journal" de 1910 à 1914, "L'Excelsior" de 1919 à 1921 et enfin "Le Figaro"  de 1938 à 1945

Édouard Risler tient sa critique musicale pour égale à celle de Berlioz et de Reyer. [24]

On peut juger du style de critique de Reynaldo dans les deux recueils suivants : L'oreille au guet (Paris-Gallimard, 1937) etThèmes variés (Paris-Janin, 1946) qui contiennent outre des articles de presse d'intéressants essais sur les compositeurs favoris de l'auteur.

Grand admirateur du théâtre et de Sarah Bernhardt en particulier (Il lui consacra un ouvrage intitulé " La Grande Sarah ") [25] , Reynaldo fit également preuve de talents d'acteur et tint un petit rôle auprès de son illustre amie : " On joue ce soir la Dame aux camélias. J'y figure au premier acte dans le rôle improvisé de Nathaniel. " [26]

Reynaldo s'intéressa beaucoup aux écritures : " Je suis de plus en plus fort en graphologie et j'ai fait des portraits impeccables de personnes que je n'avais jamais vues. " [27] Au même Édouard Risler il dit aussi qu'il aurait excellé en médecine... Comme le fait remarquer Bernard Gavoty il ne faut pas s'étonner car il est doué pour tout.

Reynaldo s'essaya même à la peinture : " J'ai essayé ce matin, et de la façon la plus maladroite, une petite pochade au parc Monceau. Énervant. On est affolé par la multitude de détails à indiquer. Mais quelle différence avec notre travail de musique, si aride, si ingrat ! " [28]

Dans maintes pages de son Journal se décèle son profond amour de la peinture ; il cite et analyse les tableaux qui l'ont particulièrement impressionné.

" Milan.- Van Dyck adorable : la Vierge, l'Enfant et Saint Antoine de Padoue : geste mignon et pourtant noble du bébé. J'ai retrouvé avec plaisir la figure jeune, souriante et grave du saint. Coloration brillante, chaude et caressante. Admirable peinture. " [29]

Pour achever le portrait de cet artiste complet il faut dire quelques mots des nombreux voyages qui occupèrent sa vie.
Dés son enfance Reynaldo voyage, il est attiré par toutes les beautés que recèle le monde entier et il écrit " Si je n'avais pas voué tant d'heures à la composition, il m'aurait semblé avoir passé mon existence à voyager. J'aime ce qui change autour de moi, tout en me laissant - hélas ! - pareil à moi-même. " [30]

L'Allemagne, patrie de son père et pays d'adoption de deux de ses nombreuses sœurs, l'attirera à mainte occasion ; il visitera l'Italie, la Russie, la Roumanie, l'Égypte...

 

Pour clore ce chapitre il nous a paru intéressant de confronter deux articles fort dissemblables sur Reynaldo Hahn ; le premier est dû à Jean Lorrain, le second est de la plume de Marcel Proust.

 

On remarquera dans l'article de Lorrain une mauvaise foi indéniable que viendront contrebalancer les propos un peu trop louangeurs de Proust.

    " Un ténor mondain, une petite tête ravagée de vieille femme à peau sèche et terne, fanée au feu de la rampe, petite moustache noire astiquée virgulant une bouche dont vont tomber des perles et des trilles de rossignol; petit avec cela, l'allure étriquée, de pauvres gestes courts, affairés, un air d'importance et de mystère; à peine le temps de répondre à la maîtresse de maison qui accourt et plonge en trois révérences devant lui, une voix saccagée qui se veloutera tout à l'heure, et tandis que, le profil à l'évent, il écoute à peine un groupe de femmes pâmées, le corsage en offrande devant lui, l'œil inquiet, circulaire du cabotin qui fait sa salle et qui s'assure si tout son monde est là... Le roi des chanteurs de salon, une toute puissance de Paris mondain puisqu'il apporte aux belles dames en mal de réceptions un talent qui ne coûte rien, l'homme heureux que les plus diamantées et les plus haut côtés de la banque juive et du Faubourg s'arrachent pour leurs ineffables soirées, celui dont on dit : "Ma chère, nous l'aurons", en ouvrant à demi un fébrile éventail. " [32]

Après ce portrait volontairement outrancier voici, extrait d'un article sur le salon de Madame Lemaire, une description tout autre de l'emprise qu'exerçait Reynaldo sur ses auditeurs :

" La Baronne Gustave de Rothschild, habituée à être mieux assise au spectacle, se penche désespérément d'un tabouret sur lequel elle a grimpé pour apercevoir Reynaldo Hahn qui s'assied au piano ( ... ) Madame Lemaire (...) retourne auprès du piano où Reynaldo Hahn attend que le tumulte s'apaise pour commencer à chanter. (... ) Dés les premières notes du "Cimetière" le public le plus frivole, l'auditoire le plus rebelle est dompté. Jamais depuis Schumann, la musique pour peindre la douleur, la tendresse, l'apaisement devant la nature, n'eut des traits d'une vérité aussi humaine, d'une beauté aussi absolue. Chaque note est une parole - ou un cri ! La tête légèrement renversée en arrière, la bouche mélancolique, un peu dédaigneuse, laissant s'échapper le flot rythmé de la voix la plus belle, la plus triste et la plus chaude qui fût jamais, cet  "instrument de musique de génie"  qui s'appelle Reynaldo Hahn étreint tous les cœurs, mouille tous les yeux, dans le frisson d'admiration qu'il propage au loin et qui nous fait trembler, nous courbe tous l'un après l'autre, dans une silencieuse et solennelle ondulations des blés, sous le vent. " [33]

 


[1] Bernard Gavoty : Reynaldo Hahn, le musicien de la Belle Époque - P-30

[2] Bernard Gavoty : op. cit. p. 24 et 25

[3] Il côtoya dans cette classe des pianistes devenus célèbres : Alfred Cortot, Joseph Morpain,   Édouard Risler et.... Maurice Ravel.

[4] Daniel Bendahan : Reynaldo Hahn, su vida y su obras P35

[5] Constant Pierre: Le conservatoire national de Musique et de déclamation P.771

[6] Reynaldo ne se fera naturaliser français qu'aux approches de la guerre, en 1912

[7] Bernard Gavoty: op. cit. p.39

[8] Daniel Bendahan : op. cit. p.96

[9] Reynaldo Hahn : Notes, journal d'un musicien - Paris, Plon 1933 - p.11

[10] Bernard Gavoty : op. cit. p.27

[11] Daniel Bendahan op. cit. p.3I

[12] Bernard Gavoty op. cit. P. 193

[13] allant des chansons de la renaissance aux mélodies de Fauré en passant  par les chansons du folklore  et les œuvres lyriques classiques ou "modernes".

[14] Reynaldo Hahn : Du chant - Paris,  Lafitte, 1920

[15] Daniel Bendahan : OP. cit. P-31

[16] Reynaldo Hahn : op. cit. p.111

[17] Reynaldo Hahn : ibid. P.130

[18] le projet n'aboutira pas

[19] Bernard Gavoty : op. cit. p.220

[20] Daniel Bendahan : op. cit. p. 28

[21] Bernard Gavoty : op. cit. p. 201

[22] Bernard Gavoty :  ibid. p. III

[23] Reynaldo Hahn : op. cit. p.238

[24] Marcel Proust : Essais et articles, Paris-Gallimard 1971 - P-555

[25]Reynaldo Hahn : "La grande Sarah" - Paris-Hachette 1930

[26] Reynaldo Hahn op. cit. p.270

[27] Bernard Gavoty op. cit.- P-117 118

[28] Reynaldo Hahn op. cit. p.110

[29] Reynaldo Hahn op. cit. p.200

[30] Bernard Gavoty op. cit. p.222

[31] George D. Painter : Marcel Proust - tome I, Paris-Mercure de France, 1967- p.272

[32] Philippe Jullian : Jean Lorrain ou le Satiricon 1900 - Paris-Fayard, 1974 p.261

[33] Marcel Proust : Essais et articles - Paris-Gallimard, 1971  P-460, 461 et 463 - article paru dans Le Figaro du 11 mai 1903

 

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