CHAPITRE II

Traversée. - Confidences. - La chasse au tigre. - " Lysiane ". - Mlle George. - L'orgue de Barbarie. - Chez le photographe. - "Adrienne Lecouvreur ". - " Phèdre ". - "Froufrou ".

Londres, 18 juin.

Nous avons quitté Paris ce matin, Sarah portant son costume tailleur de drap vert soutaché de vert, un col rabattu sur une cravate de satin noir, un boa en plumes d'oiseaux ténébreux et un petit chapeau de paille d'Italie entouré d'un tulle vert foncé et garni d'une plume; voilette blanche à grosses fleurs; ensemble merveilleux de jeunesse et d'élégance. Elle est montée dans un compartiment avec Ullmann, Seylor et Saryta.

J'ai passé la première partie du trajet dans un autre compartiment, où se trouvaient le ménage Brémont, le ménage Deval, Charmeroy, Luguet, et la gentille Mlle Labady. On a parlé des acteurs étrangers, de Novelli, de Salvini, que, parait-il, Sarah admirait beaucoup, de Rossi, d'Irving, etc.

A la gare d'Amiens, j'ai pris place dans le compartiment de Sarah, que j'ai trouvée sans chapeau, un peu décoiffée, respirant une énorme gerbe de roses et d'iris que des amis sont venus lui apporter à son passage. Elle est gaie, très rieuse, et, une fois le train reparti, prend place à côté d'Ullmann, qu'à cause de la noirceur de son teint et de sa barbe, elle appelle "mon petit ange" et " ma blondinette ".

Comme je lui parle de La Danse des Ours, elle me la rejoue maintenant sur ses genoux, en la chantant avec rudesse. Je l'interroge sur Salvini ; elle me dit qu'elle n'a jamais rien vu d'approchant, qu' il était le plus grand acteur qu'elle eût jamais rencontré et l'un des hommes les plus beaux de la terre. Comme je m'étonne de l'absence de la vieille Mme Guérard, elle me répond :

" Elle est restée à Paris. Elle devient vieille, un peu maniaque, et un peu jalouse des gens qui m'approchent. Elle m'a reçue quand je suis entrée dans la vie et je l'ai eue auprès de moi pendant toute mon enfance ; puis, après une intermittence de quelques années, elle est revenue auprès de moi et depuis trente ans elle ne m'a pas quittée.

- Comment, dis-je, n'a-t-elle jamais eu l'idée de noter jour par jour vos faits et gestes?

- Jamais ! Cela étonne tous mes amis. Jamais de sa vie elle n'a pris une note. Quant à moi, je n'ai pas le temps ; mais j'espère bien, cependant, arriver à constituer des Mémoires assez intéressants. D'abord, j'ai toutes les coupures de journaux que j'ai assemblées depuis le commencement. Je pourrais en remplir ce wagon, et, quand ma mémoire me fera défaut, je saurai où chercher, car je dirai exactement le contraire de ce que je verrai dans ces journaux, sachant que je dis ainsi la vérité. A mon premier voyage en Amérique, comme je pensais que je pouvais fort bien mourir à ce moment-là, j'ai brûlé une grande quantité de lettres Depuis, comme ma santé s'est beaucoup affermie, j'en ai gardé d'autres, mais elles sont en lieu sûr, et je sais que, si je meurs, on les brûlera tout de suite. "

Nous parlons des chutes qu'elle fait sur le sol, dans diverses pièces, quand elle " meurt. "  

C'est idiot de travailler ça, dit-elle ; la première condition pour bien tomber, c'est de ne pas calculer sa chute, de se laisser tomber sans crainte et n'importe comment. C'est une question de souplesse; on ne se fait mal que si on n'est pas souple. Moi, je me lance par terre, je m'abandonne sans me ménager et je ne me suis presque jamais fait mal. "

Elle trouve elle-même que sa mort dans Léna 1 était remarquable; c'est là qu'elle tombait sur la figure, terrassée par la morphine.

" Je meurs assez bien aussi dans Adrienne Lecouvreur. "

Elle déteste cette pièce, qu'elle trouve mal écrite, mal faite, et ne la joue que parce qu'elle y produit un grand effet. Elle a joué aussi, souvent, Le Maître de Forges et en a, dit-elle, un peu de honte, "tant c'est écrit d'une façon ridicule". 

Elle n'a jamais joué Pauline Blanchard en France. Le public, dit-elle, n'aime pas la voir en paysanne tutoyée par des campagnards ; il veut la voir toujours couverte de "belles robes ".

Brusque changement de conversation. " Y a-t-il longtemps que vous n'avez vu la comtesse P....? Elle était admirablement belle, il y a quelques années; mais elle a de vilaines attaches et quand elle se met en noir avec une rose rouge, je la tuerais! "

De plus, Sarah, qui ne dit jamais d'incongruités, est choquée par "la conversation débridée" de la comtesse.

Nous revenons à l'utilité qu'il y aurait à écrire, instant par instant, sa vie; elle me raconte qu'un jeune homme, M. Maurice Guillemot, a recueilli, pendant des années, tout ce qui la concernait : articles, portraits, caricatures, programmes, etc., et qu'il les lui a apportés il y a quelque temps pour ses Mémoires. Je lui dis mes projets de notes la concernant. D'un ton très simple et très sincère, elle me répond

" Maintenant, ce n'est pas bien intéressant et ce ne sera plus bien long. Mais Guérard ! Guérard qui ne m'a pas quittée pendant trente ans! "

Je lui demande si elle aime jouer Froufrou
"Assez, mais le premier acte est trop jeune pour moi et ça m'ennuie un peu; le reste va bien. "

Elle se connaît mieux que personne; tout ce qu'elle dit l'indique. Elle connaît ses capacités, les moyens dont elle dispose, ceux qu'elle doit se résigner à regretter.... Elle n'a pas de secrets pour soi-même, je m'en rends compte chaque fois que je cause un peu longuement avec elle. Je lui dis que dans Julie elle n'étouffe pas de la même manière que dans La Dame; que l'on sent bien que Julie a une maladie de cœur.

" Oui, oui, dit-elle un peu à la légère, c'est l'anévrisme, c'est l'anévrisme.... " (Elle pense absolument à autre chose, à ce moment. A n'en pas douter, c'est en jouant le rôle, chaque fois, qu'elle a trouvé ces signes de maladie cardiaque; cela n'a pas été prémédité.)

Comme on va bientôt arriver, Sarah passe dans le compartiment voisin, se met de la poudre, met son chapeau, sa voilette, change de gants en recommandant à Suzanne Seylor de "mettre la paire sale dans le sac ". Le train s'arrête : un employé se présente pour prendre les billets et la reconnaît (d'ailleurs, sur tout le parcours, on sait qu'elle est dans le train) et un vieux sous-chef de gare vient, sous un prétexte futile, mettre sa grosse tête rouge à la portière pour regarder Sarah, puis va murmurer à l'oreille d'un monsieur barbu : "C'est bien elle. "

Nous rions de cette frime naïve, et Sarah regarde fixement d'un air à la fois aimable et un peu narquois le monsieur barbu, en dilatant légèrement les narines, pour " faire joli".

La conversation reprend. Nous parlons d'Haraucourt, de Rostand, de Richepin ; puis, nous en venons à parler d'un voyage aux Indes, ce voyage auquel on pense si souvent et qui ne se réalisera probablement jamais. Un maharadjah qui séjourne à Paris est venu la voir et l'a suppliée d'aller dans son pays. On partirait très peu nombreux; en tout, une quinzaine, en comptant quelques amis, qui joueraient aussi la comédie. Sarah énumère quatre ou cinq pièces " qu'on arrangerait un peu au besoin". Elle choisirait La Dame aux Camélias, La Tosca, Adrienne Lecouvreur. " Rien de très subtil. "

Ces représentations se donneraient dans certains théâtres et surtout chez des rajahs, " devant des princes basanés, couverts de pierreries ". L'un d'eux lui a promis qu'il lui donnerait le divertissement d'une chasse aux tigres, mais d'une chasse aux tigres pour dames :

" On fait une énorme cage en fer où l'on entre une vingtaine ou une trentaine, guis on attire les tigres autour de la cage (singulier renversement des rôles!) et l'on leur tire dessus à travers les barreaux! "

Cette description prend, avec l'accent de Sarah, un comique irrésistible. Elle préférerait, d'ailleurs, la vraie chasse aux tigres, " quand on est monté sur des éléphants qui courent monstrueusement " ; mais elle avoue qu'elle aurait une peur atroce si un tigre "faisait mine de sauter ". Je regarde Sarah pendant qu'elle parle. Quelle silhouette unique ! Quelle vision ! Elle a remis son boa de plumes auquel elle a épinglé deux roses avec un camée. Elle se tient toute droite dans un mouvement hardi, la main appuyée sur un coussin, l'autre mobile, un peu gesticulante ; une voilette blanche très serrée et adaptée exactement aux contours de sa figure enferme ses traits dans un triangle de dentelle derrière lequel ils transparaissent dégagés de toute réalité, enveloppés d'une brume qui donne plus d'étrangeté encore à ce qui fait leur originalité célèbre : la ligne du nez et du menton, les pommettes, les yeux bleu vert rieurs et un peu cruels.

Calais! Voilà Sarah qui, son énorme bouquet à la main, saute sur le quai; elle ne veut pas descendre au bateau par un escalier prétendu plus commode, mais par le chemin de tout le monde " et des malles ". Nous nous y engageons ; elle me confie ses fleurs et, très amusée, descend avec prudence la pente en bois garnie de petites traverses, "comme les éléphants de cirque ", lui dis-je, et elle pousse alors ce petit éclat de rire aigu qui est son vrai rire. Ce petit rire surprend toujours quand il éclate. Il est placé très haut et s'enroue vers la fin.

Sarah se dirige aussitôt vers la grande cabine qui lui est réservée, ôte son chapeau, et, de la porte, crie en anglais, avec un détestable accent :

"Stewart ! Stewart ! bottel champagne, aïci, aïci 2. "

Puis, se tournant vers Emile "Dites-lui donc qu'il apporte une demi-bouteille de champagne et un sandwich. " Quelques instants plus tard, je reviens, bravant le mal de mer, pour voir où en est Sarah. Je la trouve étendue sur le sofa et elle pousse une exclamation en me voyant porteur d'un immense verre contenant tout entière une demi-bouteille de champagne que, de mon côté, je suis allé chercher pour conjurer les nausées. "Mais voyons, vous allez vous rendre malade! "

Comme je lui dis que je me prépare à avaler granules sur granules d'un produit antinausique,

"Vous allez beaucoup trop vous granuler ! "

Et, se tournant vers Seylor

"Tu vois, c'est parce qu'il est musicien, il va prendre un tas de petites blanches, de toutes petites blanches !" Je la quitte et la laisse avec son champagne, son sandwich et Seylor qui, vacillante, s'installe dans un coin. Sarah, d'ordinaire, dort un peu dans ces cas-là.

Sur le pont, je trouve Brémont et sa femme, installés dans des chairs. Deval, peu rassuré, me demande des globules et disparaît bientôt dans les profondeurs du bateau. Mlle Labady devient peu à peu bleu ciel, puis mauve, et s'évapore aussi; les hommes de la troupe paraissent assez fermes, ainsi que Saryta, vraiment très jolie aujourd'hui, et que Blanche Dufrène, qui a son petit enfant avec elle. Je m'assieds dans un coin près d'elles et de Mme B..., une excellente femme qui, laide et pauvre, n'ayant pour vivre qu'un bureau de tabac, fait toute l'année de petits travaux de couture pour pouvoir, au printemps, suivre un peu Sarah dans ses voyages. A Douvres, Sarah, pas malade, mais mal à l'aise, sort de sa cabine et monte dans le train. Là, avec Ullmann, Chameroy et sa nièce, dans un superbe salon, elle fait un petit baccara qu'elle joue avec fantaisie, avec une fièvre un peu comique et des regards qu'elle rend féroces et avides pour nous amuser. Elle gagne, en peu de temps, cent soixante francs et en parait enchantée !

Nous voici à Londres. La gare est bondée et plusieurs personnes attendent Sarah, entre autres l'impresario Maurice Grau et des jeunes filles qui lui apportent des fleurs et qui, en l'apercevant, s'écrient joyeusement :

" There she is ! "

Londres, 20 juin.

 C'est la première représentation de Sarah ; la salle est pleine, bien qu'elle doive jouer Lysiane 3, que personne ne connaît encore ici.

Le rideau se lève ; les premières scènes sont écoutées sans ferveur et même avec un peu d'effort. Les acteurs bredouillent. Mais Lysiane va faire son entrée.

" C'est elle ", dit un personnage. Oui, c'est elle, c'est Sarah ; Sarah en femme de quarante ans, encore charmante et séduisante, vêtue d'un manteau blanc bordé d'une légère fourrure. Elle porte une petite capote noire, un boa blanc, elle est la distinction même, - cette distinction des femmes qui ne sont plus des jeunes femmes, mais encore des femmes jeunes ; une élégance assagie, un goût sûr et réfléchi.

A peine a-t-elle franchi la porte qu'elle est obligée de s'arrêter : la salle entière la salue d'un applaudissement passionné. Sans changer le caractère de son allure ni de son attitude, elle s'incline un peu, émue, souriante, et, après un long moment, met fin elle-même à l'ovation en renouant le dialogue interrompu. Elle joue toute la scène légèrement, en parlant vite et assez haut perché ; elle déploie pour l'ami qui revient après trois ans toutes les grâces de son esprit et de sa beauté adoucie ; elle a, entre autres particularités, un simple changement de chaises qu'elle effectue par un : " C'est je crois, mon mouchoir qui est sur cette table ", dont l'exécution est si aisée que ma voisine se penche vers moi pour me demander si c'est dans la pièce. Sa sortie, qui est une merveille de grâce simple, est applaudie comme son entrée; la fin de l'acte est écoutée avec politesse.

Au deuxième acte, au bal, chez elle, Lysiane porte une jolie robe verte ou bleu pâle, décolletée, avec un peu de dentelle au corsage et des fleurs, une de ces robes que Sarah a faites et qui ont contribué à faire Sarah, qui ont établi son type, ce type de femme inconnu jusqu'à elle et que, depuis elle, tant de femmes ont voulu posséder. Il est â remarquer, d'ailleurs, qu'elle observe pour toutes ses robes de ville, de quelque caractère qu'elles soient, la même coupe sarah-bernhardtesque ; un corsage qui se drape et une jupe plus serrée aux jambes qu'aux hanches et qui a l'air de tourner en spirale autour d'elle. D'ailleurs, la spirale a toujours été la formule linéaire de Sarah. Dans tous ses gestes, on retrouve toujours un principe de spirale. Voilà qu'elle s'assied et elle s'assied en spirale ; sa robe tourne autour d'elle, l'embrasse d'un tendre mouvement de spirale, et la traîne achève sur le sol le dessin de spirale que la tête et le buste de Sarah achèvent par le haut, dans un sens opposé.

Elle est, ce soir, extraordinairement elle-même ; je ne l'ai jamais peut-être vue plus "Sarah ".

Londres, 22 juin.

 J'arrive à la fin du spectacle et pénètre par les coulisses; on joue La Dame aux Camélias.

"Chut ! me fait Maurice Bernhardt, c'est la mort. "

Oui, c'est le moment où Sarah, seule, relit la lettre du père Duval. Je m'assieds avec quelques acteurs derrière la toile de fond ; on entend la voix de Sarah par bribes sanglotantes. Soudain, l'orgue de Barbarie commence à jouer ; la fenêtre s'entr'ouvre, et voici Sarah, tout en blanc, qui vient regarder au dehors. Ce soir tous le disent, elle joue de tout son être. Une dame habillée en satin vert pomme est assise par terre dans les coulisses et regarde Sarah à travers une fente du décor. L'acte s'achève : Guitry, Seylor, Deneubourg, Mme Boulanger, sont en scène ; je prête l'oreille et, sans regarder, je vois le jeu de Sarah : c'est intensément poignant lorsqu'elle dit : " Ah!... qu'est ce que j'ai? " Puis, silence terrible pendant la longue étreinte.... Puis, le cri d'Armand - et le rideau. La salle éclate en applaudissements claquants, rapides. Sarah reste étendue à terre pendant le premier rappel. Le rideau se relève, cinq, six, sept fois, devant une salle trépignante. Sarah, un peu lasse, sourit dans sa pâleur et remercie des yeux et du geste, les mains jointes près de la joue, ou bien les deux bras étendus en avant. Elle se recoiffe un peu d'une main, elle halète, semble épuisée.

Dans sa loge, elle me dit qu'elle est lasse, qu'elle est allée dans l'après-midi voir Mrs. Patrick-Campbell dans Pelléas et Mélisande et que ça la fatigue bien plus d'aller au théâtre que de jouer.

"Et puis, ajoute-t-elle, j'ai très bien joué, ce soir, et me suis éreintée. Décidément, on ne peut même pas bien jouer La Dame aux Camélias sans se fatiguer. "

Elle s'habille, met une robe tailleur blanche, un joli chapeau avec des roses roses, pend à son cou ses innombrables chaînes, ruisselantes de pendeloques. A la porte, en bas, un rassemblement se presse; on la salue respectueusement, en silence. Elle monte en voiture et, quand le landau où nous nous trouvons, elle, Ullmann, Seylor, Saryta, Maurice et moi, se met en mouvement, elle salue ses adorateurs d'un aimable signe de tête et, à un monsieur qui se découvre, elle dit :

"Bonsoir, monsieur! "

" Comme ils sont aimables, me dit-elle. Quelle déférence et quelle sympathie ! " Il est vrai que les gens qui attendaient à cette porte étaient bien différents de ceux qui, à Paris attendent Sarah à la sortie, et qu'on est obligé de refouler, tant leur curiosité se manifeste parfois vulgairement.

Comme nous constatons que La Dame aux Camélias transporte toujours le public anglais :

" C'est, dit Sarah rapidement, que c'est une vraie pièce et que c'est de l'amour ; les figures d'amoureuses attirent et attireront toujours. "

On parle de choses et d'autres. Sarah s'amuse comme une enfant d'une inscription lumineuse qui s'allume et s'éteint au haut d'une maison. A propos d'Ellen Terry, que j'ai vue ce soir, dans Le Marchand de Venise, on parle de la beauté et de la laideur de certaines femmes. Sarah, sur ce chapitre, est amusante, dit des choses nettes et justes. Mais elle est, en général, indulgente, - excepté pour les obèses!

Elle m'a raconté qu'étant très petite et se promenant avec sa mère aux Tuileries, elle aperçut, assise sur deux chaises, une dame énorme ; sa mère lui dit de bien regarder cette dame, que c'était Mlle George. Sarah, qui n'avait " jamais rien vu d'aussi gros, à part les éléphants ", se mit à pousser des cris.

Londres, 23 juin.

 Je vais attendre Sarah à la porte du théâtre où elle doit arriver à une heure pour la matinée; on joue La Dame. Elle arrive très gaie et va directement dans sa loge ; je prends congé d'elle et elle me fait gravement et gracieusement une révérence.

N'ayant pu assister à la représentation, je suis arrivé pendant le dernier acte, au moment de la mort et me tiens dans les coulisses. L'orgue de Barbarie résonne... Mais que se passe-t-il? On entend des sons discordants; cacophoniques, ridicules. Un fou rire nous prend. Sarah vient à la fenêtre, surprise de cet horrible bruit. Seylor va se mettre tout près d'elle et lui fait signe, en riant comme une folle.

Sarah, sans paraître la voir, continue son monologue attendri.... Mais, comme Seylor s'esclaffe encore, elle intercale dans le texte: "Chut! en voilà assez! " (murmuré très sévèrement) et redescend en scène, défaillante, glacée par l'air froid de la rue peinte sur la toile de fond.... Dans les coulisses, on fait mille plaisanteries ; on me demande si c'est une nouvelle musique de scène écrite par moi. Guitry déclare à nouveau que jamais il ne rejouera "cette horrible pièce", qu'il y est bien décidé. Il entre en scène et je me place derrière le premier portant. Sarah me paraît moins profondément émue que de coutume. Dans le fameux: " Ah ! qu'est-ce que j'ai! ", la voix est admirable de justesse, on y sent luire la dernière flamme de la vie ; mais il y manque je ne sais quoi. X... me murmure à l'oreille :

"Elle joue à la corvée, aujourd'hui. Quelle différence avec hier! "

(Donc, je ne m'étais pas trompé.) La voilà qui tombe morte; et les applaudissements partent, des applaudissements de matinées anglaises, des applaudissements frénétiques de femmes et de jeunes filles. Le premier mot que j'adresse à Sarah, c'est :

" Madame, que pensez-vous de l'orgue? " Mais je sens tout de suite qu'il ne faut pas plaisanter.... Elle trouve cet épisode odieux.

"Ça fait rire! " dit-elle, indignée. Elle interpelle l'entourage

" Eh bien ! cet Orgue? Qui est-ce qui a tourné l'orgue? "

Le chef des accessoires, Stebler, s'avance

" Madame, j'aime mieux me faire attraper tout de suite, mais il n'y a pas que moi de coupable. J'avais laissé l'orgue là, derrière la porte, et me suis absenté cinq minutes. On en a profité pour déranger la manivelle. Si madame croit que c'est amusant! Je vous demande pour moi, madame, de défendre qu'on touche à mes accessoires. "

Devant cette indignation, Sarah désarme; elle reprend le chemin de sa loge.

" Je suis fatiguée, dit-elle en s'essuyant le front et le cou. Et puis, Guitry m'a fait tomber trop tôt, sans me repousser d'abord en arrière. Il n'aime pas ce rôle et, malgré tout son talent, il le laisse voir. Et puis, il se tordait tout le temps à cause de l'orgue, et quand je sens qu'on n'y est pas, je ne peux plus jouer. "

Elle n'est pas en colère, mais agacée. Elle dînera au théâtre, devant jouer encore ce soir.

"Marie, dit-elle à la femme de chambre en regardant sa chemise plissée, cette chemise ne peut pas servir demain à Croydon ; avons-nous apporté la vieille? - Non, madame.

Eh bien ! alors, tu laveras le bout des manches, le bout des manches seulement..."

 24 juin.

 Invitée â déjeuner à Croydon, par le maire, Sarah est partie ce matin, à onze heures. On a joué La Dame aux Camélias. Elle revient à six heures et je vais la chercher à la gare. Comme elle passe par un guichet, un employé lui demande un peu brusquement son billet. Sarah montre Ullmann, qui suit, et répond :

" Ask gentleman. "

L'employé n'entend pas et fait mine de lui poser la main sur le bras pour l'empêcher de passer ; alors Sarah, avec la voix qu'elle prenait dans Théodora pour dire : " Mais, bâillonnez-le donc ! ", lui rugit en pleine figure : " Ah ! not touch ! ", fait un geste de dégoût et poursuit son chemin à la stupéfaction de l'employé. Elle sourit alors et me dit :

" Je ne peux pas souffrir qu'on me touche, qu'on veuille m'arrêter ; mon cœur bat et je vois rouge!"

Elle monte en voiture, rentre à l'hôtel ; j'y conduis en cab Marie et Dominga, les femmes de chambre. Nous montons, et Sarah se met à, dîner, devant se rendre au théâtre pour y jouer Lysiane. Elle mange deux oeufs sur le plat, un peu de rosbif froid, boit du whisky avec de l'eau d'Apollinaris, aimant " à changer très souvent de boisson".

Ce soir, elle a joué Lysiane, qui ne la fatigue pas, puis elle est rentrée en landau découvert avec une dentelle sur la tête. Elle me raconte que le maire de Croydon a été charmant pour elle et qu'entre autres prévenances, il a traversé la voie ferrée avec un fauteuil dans les bras pour qu'elle ne se fatiguât pas à attendre le train debout.

" Plaignez-moi, me dit-elle, je dois aller demain chez le photographe."

On me dit qu'elle y est insupportable, qu'elle ne démord pas d'une pose qu'elle aime, fût-elle défavorable ou mal éclairée. Elle fait détruire immédiatement les clichés qui ne lui plaisent pas. Parmi ceux-ci, j'en ai vu de charmants ; mais, pour un détail de physionomie ou de mouvement, elle les abolit sans pitié. Un jour, elle a dit à Nadar : "Pourquoi me faites vous toujours laide et noire? J'ai l'air de Tessandier ! "

Londres, 25 juin.

Ce matin, séance chez le photographe  Downey ;    tout   l'atelier l'attendait avec impatience et avec joie. Il pleut et l'on craignait qu'elle ne vînt pas. Elle arrive pourtant à onze heures et demie avec Clairin, Seylor et Marie ; très frileuse, elle trouve ce temps " glaçant ". Il fait pourtant chaud. Elle dit bonjour d'une voix rude et affectueuse au vieux Downey, qu'elle connaît depuis vingt ans.
" Always young ", lui dit-elle en lui donnant une tape sur l'épaule. Le vieillard, un véritable artiste, est radieux. Il professe pour Sarah la plus profonde dévotion.

Nous montons à l'atelier par un petit escalier noir. Sarah est très maladroite pour monter et descendre les escaliers ; elle aime à sentir l'appui d'une main ou d'une épaule. Elle est d'excellente humeur : elle ôte son joli chapeau de voyage en paille d'Italie et s'ébouriffe un peu les cheveux devant la glace, d'un petit geste saccadé de l'index. Elle se relève un peu les sourcils et, rayonnante de jeunesse, va s'installer devant l'appareil.

Elle pose d'abord dans une robe de drap blanc, son nouveau chien jack auprès d'elle. Puis, après quelques poses diverses, toutes choisies dans ce répertoire d'attitudes qu'elle a créées et fixées, elle change de robe derrière un paravent, revêt le costume de voyage de Lysiane, en alpaga gris, et le manteau pareil doublé d'une petite étoffe rose. Elle pose encore deux ou trois fois. Je lui dis combien cette forme de Jupe, qu'elle a inventée et qu'elle garde en dépit des changements de la mode, est réussie: cette forme serrée aux jambes et qui finit par un élargissement aux chevilles. Cette ligne onduleuse est la principale caractéristique de la silhouette de Sarah Bernhardt,

Nous redescendons et le père Downey lui demande d'écrire une fois de plus quelque chose dans son album. Il lui fait hommage d'une de ses photographies dans Phèdre, émaillée et encadrée. Pour le remercier, elle lui happe affectueusement le crâne et l'appelle darling. Nous remontons en voiture.

"Jojotte, dit Sarah à Clairin, vous déjeunez avec nous?
- Non.
- Ah! mais, Jojotte, vous êtes un cochon ! Vous auriez bien pu avertir vos légitimes (sa sœur et sa nièce) que vous déjeuniez avec moi ! "

Gai retour en voiture. Elle prétend que je suis "une teigne ".
"Mais on vous pardonne parce que vous êtes amusant. "
J'accepte ce compliment avec aisance. Au cours du bavardage, elle nous raconte qu'une de ses femmes de chambre, jadis, ayant trompé son mari avec le cocher, le mari était venu en larmes le raconter à Sarah et s'écriait :

"Un cocher ! Un cocher ! Encore si elle avait pris un des amis de Madame! " En arrivant à l'hôtel, nous montons, et Sarah, dans le couloir, ébauche un petit pas de danse " très distingué". Tous, nous allons vers la porte de son salon où le couvert est mis et où elle s'installe pour déjeuner.

Pendant que nous prenons le café, on frappe à la porte. C'est miss L.... Cette vieille fille romanesque et couperosée, aux yeux pâles, au nez turgescent, est une de ces adoratrices comme Sarah en compte par centaines dans le monde. Elle ne vit que pour Sarah et par Sarah ; elle a édifié dans son " sitting-room " un autel consacré à Sarah, orné de ses photographies et d'objets portés ou simplement touchés par elle : une paire de gants, une jarretière, quelques violettes artificielles, une épingle à cheveux.... Et cet autel est sans cesse entretenu, fleuri, illuminé.

"Ah! que je suis contente de vous voir! " s'écria Sarah en lui tendant les mains. Miss L... les baise dévotieusement, puis s'assied sur le bord d'un fauteuil, les yeux baissés. Sarah lui dit des choses aimables, lui pose mille questions. Elle répond " Oui, madame chérie; non, madame chérie! " Elle sursaute dès qu'on parle, dès qu'on remue ; elle lève les yeux de temps en temps sur Sarah, puis les baisse aussitôt avec un sourire plein de componction. Soudain, elle se rapproche de son idole et lui chuchote à l'oreille :

" J'étais avant-hier à la représentation. Oh! magnifique, magnifique, madame chérie ! Puis-je, oh ! puis-je revenir après demain?" Et, comme Sarah lui répond en souriant : "Mais voyons, tous les soirs! " elle murmure :

" Oh ! merci ! Oh ! merci ! "

Enfin, elle se lève, fait des génuflexions, va vers la porte et, avant de sortir, envoie pudiquement a Sarah un baiser du bout des doigts en esquissant une révérence.

Sitôt la porte refermée, éclate un concert de rires. Mais Sarah, très en colère, nous impose silence.

"Vous êtes stupides et très méchants ! Pourquoi vous moquer de cette pauvre fille si discrète, si digne? Elle m'adore ça ne fait de mal à personne. Elle est lettrée, distinguée.... Sa ferveur pour moi est touchante, oui, touchante; je l'aime beaucoup, parfaitement, beaucoup, beaucoup ! Et je ne veux pas qu'on se moque d'elle. "

Puis, après trois secondes de silence et très sérieusement :

" Je crois qu'elle boit. "

Alors, les rires redoublent. Sarah se lève, moitié fâchée, moitié souriante, prend sa zibeline, la jette sur son dos comme une besace.

"Vous êtes ridicules ", dit-elle.

Elle hausse les épaules et sort du salon.

25 au soir.

Sarah a répété, tout l'après-midi, Froufrou, qu'elle doit jouer ce soir. A Richepin, qui est venu la voir, elle réclame une pièce qu'il lui a offerte :

"Ma  Gitana ! " s'écrie-t-elle.

Causerie avec Richepin. Nous avons parlé de la célébrité pour ainsi dire unique de Sarah. Il m'a raconté ceci au cours d'un voyage qu'il faisait avec elle dans les pays scandinaves, le train s'était arrêté pendant la nuit dans une petite gare. Comme il tardait plus que de

raison à repartir, Richepin, qui ne dormait pas, alla s'informer de ce qui se passait il apprit qu'une centaine de paysans des environs stationnaient sur la voie et déclaraient qu'ils ne s'en iraient pas tant qu'ils n'auraient pas vu Sarah Bernhardt Il fallut réveiller Sarah, qui, enveloppée de fourrures, se mit à la portière, leur fit des sourires, leur lança des fleurs et leur envoya un baiser, moyennant quoi ils s'écartèrent pour laisser démarrer le train.

Cette histoire m'en rappelle une autre que m'avait dite le professeur Robin. Voyageant en Bessarabie avec un de ses amis, ils prirent un canot pour traverser un fleuve. Le marinier qui ramait était une espèce de brute parlant à peine le patois de son village. Robin et son compagnon, en causant, prononcèrent le nom de Sarah Bernhardt; aussitôt, le rameur dressa l'oreille et se mit à sourire en répétant d'un air hébété :

"Sarah Bernhardt ! Sarah Bernhardt !... "

26 juin.

Sarah a répété aujourd'hui, de deux heures à sept heures un quart, Magda 4 et Adrienne, et, de neuf heures à une heure du matin, La Femme de Claude et Julie.

Elle a répété aussi La Pluie et le Beau Temps 5, qu'elle doit jouer avec Coquelin à une fête de bienfaisance chez la duchesse d'York.

27 juin.

Sarah est rentrée hier de la répétition, à une heure du matin. Aujourd'hui, elle arrive après déjeuner au théâtre et répète successivement Julie et La Femme de Claude (six actes), puis encore la petite pièce de Gozlan, que je souffle.

"Vous soufflez mieux que Pitou ; je vous engage! "

Elle est exténuée, et cela se voit; c'est à peine si elle parle ses répliques, elle les murmure et, pourtant, toutes les valeurs y sont, rien n'est disproportionné, et si elle fait tout bas, parfois imperceptiblement, un passage de force, elle fait un passage de douceur plus bas encore. C'est alors un souffle, une ombre de voix.

Je suis émerveillé de la façon dont elle indique, dont elle esquisse en répétant ; c'est un dessin rehaussé qui fait deviner les couleurs définitives.

Dans le troisième acte de La Femme de Claude, tandis que Deval, penché sur elle, lui murmure des injures, elle lui siffle un petit air, en se moquant de lui gentiment, fait des jeux de physionomie exagérés pour le faire rire.

Après la répétition, elle va dans sa loge où elle fait apporter un canapé pour dormir une heure avant le dîner.

                        

Ce soir, Adrienne Lecouvreur. Je rentre émerveillé d'abord, puis très intéressé, rétrospectivement. En effet, Sarah m'est apparue toute différente de ce que je l'ai vue jusqu'ici. Elle donne une Adrienne aussi exacte que le permettent les suppositions.

Les actrices du XVIIIe siècle n'étaient pas ce qu'elles sont aujourd'hui; moins reçues, elles étaient, au fond, plus recevables que ne le sont à présent beaucoup d'entre elles; elles avaient dans l'allure et dans le langage un peu de cette réserve apparente qui marquait l'ancien régime, et nous ne nous figurons pas Adrienne, Clairon, même la Dangeville et la Ponsin, familières, bruyantes, mi-folles.... En lisant la vie des gens de théâtre du XVIIIe, on est frappé du bon ton qu'ils apportaient même à leurs inconvenances; tout est en proportion de ce ton parfait. La Clairon, capricieuse, fantasque, insupportable, ne se départait jamais d'une certaine majesté orgueilleuse ; les autres, diversement passionnées, légères ou méchantes, étaient toujours distinguées, pleines de tenue ; les plaisanteries de Sophie Arnould sont plus voilées, plus prudentes dans leur vive polissonnerie que de simples répliques de femmes du monde de nos jours. Avec les toilettes que portaient les actrices du XVIIIe siècle, impossible d'être commune.

Et puis, le Romantisme n'était pas venu, échevelant tout, changeant l'optique des choses, donnant aux comédiens une liberté fougueuse, aventureuse, qui leur est restée ; la bohème n'existait pas.

Les comédiens du Théâtre-Français étaient des lettrés. On est surpris, quand on lit leurs Mémoires, de l'éducation soignée que la plupart d'entre eux avaient reçue ou s'étaient donnée, de leur connaissance de l'antiquité, de leur pondération, de leur bon sens. Peut-être n'avaient-ils pas " l'inspiration ", ce que nous nommons aujourd'hui le génie, ou, s'ils l'avaient, il se manifestait, comme toujours à cette époque, sous une forme moyenne, châtiée, pleine de goût et de calcul; tous les grands hommes d'alors, tous les vrais hommes de génie, présentent leurs richesses intellectuelles de cette manière là. Le bon goût primait tout. On ne tolérait aucune outrance; pas un élan qui ne fût contrôlé par le goût, par le talent.

Les seuls grands hommes excessifs de ce temps furent Rousseau et Rameau (qu'on traitait tous deux de fous), et Gluck, qui était Allemand. Et encore, quelle prudence dans leur langage! Quelle conception mesurée de l'art !

Enfin, il semblait que personne ne pût moins rendre Adrienne Lecouvreur telle qu'elle était  (probablement) que Sarah, incarnation de tout ce que le Romantisme a ajouté à l'art du comédien. Mais, dès son entrée, au deuxième acte, dans son beau costume de Roxane, le manteau d'Orient sur les épaules, le turban et le voile au front, tenant à la main le petit exemplaire de Racine en maroquin, appliquée, attentive, calme et sérieuse, la voix posée, distincte, la diction claire, soigneuse, je vis qu'elle avait transformé son âme encore une fois, et que ce n'était plus Sarah, mais réellement Adrienne.

"Que cherchez-vous donc? lui demande l'abbé, frivole et papillotant.
- La Vérité."

Dans cette réplique, Sarah met une grâce sérieuse qui est toute la nature du personnage, qui est le la de ce " diapason normal ", sur lequel elle accordera l'ensemble de son interprétation. Dans tout cet acte, qui n'est que de douceur et de tranquillité, avec au plus deux ou trois élans, ne cesse de régner l'équilibre du sentiment et du ton.

Et je me rappelle alors Bartet, dans ce même rôle, Bartet qui excelle dans la dignité pudique, le calme, la concentration sentimentale.

Mais Sarah apporte à la même idée du personnage des moyens qui ne sont qu'à elle. Dans l'exécution, une aisance sans pareille. Et puis, elle est, ce soir, d'une jeunesse incroyable. Cette coiffure ! Ce costume ! Pendant qu'elle récite Les Deux Pigeons, au moment où, appuyée sur l'épaule de Maurice de Saxe, elle murmure d'une voix tendre et délicieuse :

.....Qu'allez-vous faire?
Voulez-vous quitter votre frère?
L'absence est le plus grand des maux,

je me dis que j'ai une vision de la Sarah de jadis, de celle qu'on me cite toujours, qu'on oppose quelquefois à celle d'à présent ; c'est la poésie fugitive et chantante, l'ombre lumineuse, la Sarah de Dona Sol, de Zaïre, celle dont Félicia Mallet me disait :

"Il me semblait impossible qu'elle fût palpable.... C'était une fumée, une vapeur...."

Oui, elle est tout cela en ce moment. Et pourtant, c'est aussi la Sarah d'aujourd'hui, avec tout un passé d'expérience, sa profonde science dramatique, à l'apogée de son génie et débarrassée de toutes les charmantes folies de la jeunesse.

Au deuxième acte, elle porte une robe rose et un grand capuchon sur ses cheveux blonds un peu poudrés. On dirait une gouache de Baudouin. Elle a un moment particulièrement heureux : c'est après la scène avec la princesse dans l'obscurité, quand le salon s'éclaire à nouveau et que la princesse a disparu. Sarah reste toute droite, interdite, les yeux fixés sur la porte, pendant qu'on parle derrière elle.

Au troisième acte, ce sont d'extraordinaires variations sur le thème de la jalousie. C'est, pendant le colloque haineux et mordant avec la princesse de Bouillon, une noblesse royale, une émotion intense dissimulée par la grande actrice qu'est Adrienne, une perfidie presque involontaire causée par le trop-plein du cœur et par le dépit. J'étais curieux de savoir si elle dirait les vers de Phèdre comme elle les dit quand elle joue Phèdre. Elle les dit tout à fait différemment. Au lieu de les pousser dans un crescendo fiévreux, elle les dit lentement, par saccades, avec des défaillances douloureuses et, à mesure que se préparent les deux derniers vers par lesquels elle terrasse la princesse, elle ralentit le débit et renforce la voix. Cela rappelle la gradation majestueuse et terrible de la mer ou du vent. Le geste que j'avais tant remarqué dans Phèdre à ce vers :

Ont su se faire un front qui ne rougit jamais !

elle le remplace par un autre, exigé par la circonstance présente : elle tend le bras vers la princesse et la désigne, la main ouverte et renversée, avec un petit mouvement sec de l'avant-bras d'où dégoutte le mépris. Sa physionomie, pendant les quelques derniers instants de l'acte, garde l'empreinte, la meurtrissure que tous ces chocs y ont laissée, et c'est presque chancelante, les yeux alarmés, les joues blêmes, qu'elle demande la permission de se retirer. Les révérences de la fin sont d'une grâce décente. Puis elle s'incline, de loin, devant Maurice, et c'est en se redressant qu'elle ploie en arrière et s'évanouit dans les bras des dames stupéfaites.

La "mort d'Adrienne Lecouvreur " est considérée comme un des chefs-d'oeuvre de Sarah, elle est, en effet, saisissante et même d'un réalisme que Sarah n'emploie pas souvent. C'est une mort par le poison, et les effets du poison s'y font voir. Mais je regrette beaucoup le passage de l'hallucination pendant lequel Adrienne croit qu'elle joue la Psyché de Corneille; cela n'est pas touchant et refroidit l'émotion.

Quand, dans le fauteuil, Sarah en proie aux tortures de l'agonie, pousse des cris morbides, des cris rauques et durs, à. intervalles égaux et de sonorité identique en se tordant et en étouffant, on est saisi au cœur. Calvé, dans une baignoire, fond en larmes.

Et quand enfin, après le dernier soupir, elle s'effondre dans les bras de Michonnet et de Maurice, la salle éclate en applaudissements comme les théâtres parisiens n'en connaissent plus. On rappelle dix fois la tragédienne épuisée. Au dernier rappel, Sarah ouvre ses bras et dit assez haut :
"Merci ! "
Mais sa voix est couverte par le bruit des trépignements et des bravos.

Londres, 28 juin.

                 

Avant le premier acte de Phèdre en matinée, la salle étant déjà remplie, je vais frapper à la porte de Sarah, que je trouve en costume, debout, devant la glace. Je vois à son air qu'elle est contrariée.
" Bonjour! me dit-elle vivement, sans me tendre la main. Je suis dans un état nerveux effrayant. Croiriez-vous que je n'ai rien de ce qu'il me faut pour m'habiller ! Mes femmes de chambre arrivent maintenant. C'est abominable (c'est le mot de Sarah), c'est abominable, de se presser comme ça! Je ne sais pas à quelle heure elles ont déjeuné ni combien de temps elles ont pris pour venir de l'hôtel ici! C'est ennuyeux, dit-elle en finissant d'épingler une draperie, de s'énerver ainsi avant la représentation quand on va jouer une pièce pareille, d'être préoccupée d'un tas de bêtises ! "
Marie et Dominga ne soufflent mot. Saryta, assise dans un coin, garde aussi le silence. A ce moment, entre Emile.

" Ēmile, dit Sarah d'un ton très fâché, quand ont-elles déjeuné?
- A midi, madame....
- Eh bien ! elles auraient pu déjeuner plus tôt. C'est vraiment insupportable ! J'arrive ici une heure avant la représentation, et je ne trouve rien de ce qu'il me faut. Voyons, Ēmile, puisque vous venez ici le matin, vous pourriez au moins vous occuper de ça, faire la femme de chambre, puisque les femmes de chambre ne sont bonnes à rien! Allons, lance-t-elle à Marie, arrange-moi ça, nom d'un chien! "

Je sors prudemment, gêné par la confusion des deux coupables, et je gagne mon fauteuil.

La première scène entre Théramène et Hippolyte, médiocrement jouée, est écoutée avec indifférence. Mais la salle se redresse, attentive, à ces mots : " C'est la reine. " Et chacun fixe les yeux sur le portique.
La voici, appuyée sur deux servantes, suivie d'Onone éplorée. Qu'elle est belle ! Il n'y a pas, dans l'art grec, une image plus imposante ni plus touchante.

La Champmeslé était probablement bien charmante, bien jolie; mais outre qu'elle ne portait pas ce costume antique, elle ne devait pas avoir, étant du XVIIe siècle, cette allure alanguie, onduleuse. La Clairon, avec toute sa majesté, ne devait pas inspirer la pitié que nous ressentons devant cette criminelle involontaire : elle n'était pas sympathique, tous les contemporains s'accordent sur ce point. Rachel était terrible et superbe ; mais avait-elle cette grâce divine sous ses noirs bandeaux impitoyables? Et pourtant, c'est certainement Rachel qui devait faire, à cette entrée, l'impression la plus ressemblante à celle que produit Sarah; toutes deux (nous en trouvons la preuve dans les Mémoires de la Ristori) ont compris cette entrée de la même manière. Mais j'ai peine à croire que Rachel pût donner, comme le fait Sarah, l'idée de la femme blessée à mort par l'amour. Son entrée est, à elle seule, une des plus belles choses qui se puissent voir en ce monde; car tout ce que la statuaire la plus épurée a pu concevoir de plus élégant se combine ici avec les ravages matériels que les tortures de l'amour peuvent infliger à un être humain : c'est la Beauté ennoblie par la Douleur.

On ne peut guère noter successivement (hélas !) tous les détails de cette interprétation ; il faudrait y consacrer un volume entier, et encore ne trouverait-on pas, dans un compte rendu minutieux, l'impression d'ensemble qui se dégage de ces moments divins. Et puis, comment décrire les transitions quasi imperceptibles qui relient l'une à l'autre les mailles vivantes de ce précieux réseau?
Mais il faut tout de même signaler avec admiration certains de ces détails derrière lesquels on sent tout un monde de sentiments : le " C'est toi qui l'as nommé " d'une violence rapide, avec un mouvement de la tête qui se détourne, honteuse, les paupières baissées....

Les vers magnifiques :

Dieux, que ne suis-je assise à l'ombre des forêts !

(murmuré dans une sorte de chantonnement flottant) ;

Que ne puis-je, au travers d'une noble poussière,
Suivre des yeux un char fuyant dans la carrière !

(réveil de la voix, du geste, du regard où passe une vision lointaine)....

Et le " Tu le savais ! " du quatrième acte! Un " temps ", assez long, après lequel Sarah tourne la tête lentement vers OEnone, les mâchoires serrées à craquer, l'œil mi-clos, aigu, terrible. - Deux secondes..., et puis, très vite, d'une voix nette, sèche, sur une seule note : " Tu l'savais. " Et les lèvres aussitôt se rejoignent, mais les yeux continuent à percer le visage de la suivante.

Pendant l'invocation à Vénus, prononcée dans une effusion d'espérance, le geste (si beau que Mme Grandet elle-même, au milieu de la préoccupation de son jeu, avoue en être éblouie) revêt tout le personnage d'une allure presque sacerdotale : c'est, à ce moment, une prêtresse qui invoque la déesse avec amour. Ce geste est tout simple : le bras droit étendu et à peine plié tenant et laissant pendre le manteau blanc brodé d'or, la main gauche appuyée sur le cœur, les yeux levés au ciel.

Sarah, que je vais voir après le troisième acte me dit qu'elle n'est pas bien disposée.

" Dieu n'est pas venu, dit-elle ; peut-être viendra-t-il ce soir. Que voulez vous!"

Mais, au quatrième acte, le sublime touche à ses limites (elle-même le sent), et la salle est galvanisée par tant de passion, de force et par de si fougueux arrachements. La voix terrible de la tragédienne, qui écrase la malheureuse et "détestable " OEnone, vous prend aux entrailles, et le public vibre d'un enthousiasme frénétique.

Au cinquième acte, Sarah est transformée ; c'est une morte qui marche : " Un poison que Médée apporta dans Athènes.... " Oui, c'est bien cela: c'est une mort terrible que la misérable a choisie ; la peau du visage colle aux pommettes, livide, fanée; il semble que sous la draperie du manteau royal les membres soient amaigris. Ce ne sont plus les beaux plis orgueilleux de tout à l'heure, ce sont des plis de suaire, secs et froids. C'est d'une voix d'outre-tombe qu'elle s'accuse, à ce moment suprême, de son double crime, de son amour et de son mensonge, là, encore une fois, Sarah donne l'impression de l'être humain livré sans force à la souffrance physique. Avec chacune de ses paroles s'exhale un peu du souffle qui lui reste: on se sent pénétré, en la regardant, du froid qui engourdit déjà son corps. Le vou de Racine est accompli : l'héroïne, après avoir inspiré la pitié, force la sympathie ; victime du Destin, victime immolée par Vénus à son impitoyable fils, elle succombe douloureusement et sans plainte entre les bras des servantes qui ont peine à soutenir ce corps appesanti déjà par le sommeil éternel.

Phèdre, interprété par Sarah, restera une des choses les plus parfaitement admirables qu'il ait été donné d'entendre et de voir ici-bas.

Après la représentation, dans sa loge, Sarah, en quittant ses " vains ornements", me parle à travers le rideau. Elle est contente du quatrième acte.

Samedi soir.

Ce soir, elle joue Froufrou, après avoir dîné au théâtre.
Comme elle le joue! Après la grande malade fatidique, voici la pauvre alouette frivole, affolée de plaisir. Une malade aussi, mais une malade moderne.
Le premier acte, ainsi que me le disait Sarah, est trop jeune pour elle ; elle s'en tire pourtant avec une merveilleuse habileté. Dans une amazone marron relevée sur une botte vernie, en petit chapeau rond et la cravache à la main, elle est charmante. Dans le dialogue avec Valréas, qu'elle indique légèrement, selon cette artistique formule qui est la sienne, elle montre une aisance et une distinction qui posent le personnage dès la première scène. Il est toujours très curieux d'observer comment Sarah exécute les lieux communs; elle le fait sans recherche, comme il faut le faire, car il est certains poncifs qui se présentent parfois au théâtre et qui sont inévitables, invariables, comme certains coups de pinceau habituels dont une oeuvre a besoin, comme certaines harmonies normales, prévues, qui sont nécessaires et que tout le monde emploie à peu près de la même façon. Sarah, en grande et savante artiste qu'elle est, les réalise donc tout naturellement, tout simplement ; mais elle ne peut s'empêcher d'y mettre toujours un trait personnel. Ainsi, quand Brigard entre et qu'elle lui dit, en lui prenant le bras et en sortant : " M. de Valréas me disait des choses !... mais des choses !... ", elle le dit comme le dirait une actrice simplement convenable. Et pourtant, dans le second " des choses ", il y a une imperceptible intonation, une variation que l'oreille a peine à saisir, mais qui est tout un monde de distinction et de race. C'est le point qui marque la barrière entre la simple technique et le talent supérieur - le centimètre qui, dans la Création de l'Homme, de Michel-Ange, met un espace infini entre le doigt d'Adam et celui de Dieu...

Dans le second acte, relativement facile à jouer, il y a la scène de la répétition, où Sarah est "impayable ". Le ton qu'elle prend pour jouer la comédie est admirablement observé. C'est bien là le ton plein de sous-entendus ineptes, la voix mal placée des femmes du monde qui veulent faire l'actrice. Au moment du baiser, les hésitations de Froufrou sont rendues avec un comique très fin et très fort, et elle dit : "Eh bien ! nous passerons le passage, voilà tout! ", avec toute la vivacité comique d'une Parisienne spirituelle.

Le talent de Sarah confère une poésie rétrospective aux entr'actes. Entre deux actes, elle sait, dans l'espace de dix ou quinze minutes, vivre six mois, huit jours, une nuit ; et à ce troisième acte, dès son entrée, avant même qu'elle ait parlé, nous voyons que ce n'est plus la même Froufrou. Comme elle joue la scène avec Louise, et surtout comme elle sait l'amener! Sa mimique pendant le dialogue de Louise et de Sartorys est d'une vérité exacte, et, quand Sarah éclate enfin, on sent la pression accumulée de mille sentiments violents, la poussée d'une rancour longtemps comprimée.

Le quatrième acte, quoique supérieurement mené, ne m'a pas suggéré d'observations particulières, si ce n'est que, lorsque Sarah se jette, se traîne aux pieds de son mari pour le supplier de ne pas se battre, elle trouve une voix que je ne lui connais pas, une voix rauque, enrouée par les larmes et qui se fait entendre à travers des sanglots étouffants. Elle pleure, pleure, pleure, ses joues ruissellent, et pendant le terrible moment d'attente qu'elle ponctue de sursauts et de phrases entrecoupées : "Non, je ne peux pas.... Je ne peux pas.... C'est abominable d'attendre ainsi.... ", ses larmes s'arrêtent, pétrifiées. Je dois noter aussi un commencement d'attaque de nerfs à genoux par terre, après la sortie de son mari.

Le dernier acte de Froufrou, c'est, dit Sarah, "une mort de petit moineau parisien, une toute petite âme d'oiseau qui s'envole ". Je suis dans les coulisses, et voici Sarah, en noir, une dentelle sur ses cheveux blonds, qui vient se placer derrière le portant pour attendre son entrée. " Je viens me faire un peu de chagrin avant d'entrer en scène", dit-elle.

Admirable technique des nerfs, pourrait-on dire, qui lui permet d'aiguiller à sa guise sa sensibilité ! L'oreille collée à la porte, elle écoute ce qui se dit en scène, et, effectivement, la voici qui pleure, ses yeux se mouillent de larmes sincères, elle se retourne presque confuse, en souriant un peu:
"C'est vrai, dit-elle, j'ai du chagrin! " Et Chameroy, qui, à ce moment, ouvre la porte pour chercher Froufrou, la trouve larmoyante, défaillante.
"Ah! mon pauvre père", dit-elle tout bas dans la coulisse, pour aggraver sa tristesse, en mettant le bras sur l'épaule de l'acteur.
Et elle entre en scène, soupirante, sanglotante, mourante....

     Lundi, Adrienne Lecouvreur.

J'arrive dans les coulisses au moment où Adrienne déclame les vers de Phèdre. Je me place tout contre le décor. Sarah est justement tournée de mon côté. Son visage pâle frémit de colère ; sa main tendue montre fixement la princesse de Bouillon :

Je sais mes perfidies,
Onone, et ne suis point de ces femmes hardies
Qui, goûtant dans le crime une tranquille paix,
Ont su se faire un front qui ne rougit jamais.

Elle lance "qui ne rougit jamais" avec cet étrange mouvement de tête qui lui est si familier et qui arbore, pour la plus violente affirmation, les signes de la négation la plus radicale, c'est-à,-dire une secousse énergique et large d'un côté à l'autre.

Je vais dans la salle écouter le dernier acte. Il est déchirant, et, pourtant, il ne m'émeut pas ; peut-être - et c'est sans doute bien bête - à cause des cheveux poudrés, soigneusement coiffés sous la petite fanchon de dentelles. Oui, je suis même sûr que c'est à cause de cela.... Sarah fait, à la scène de la mort, des efforts terribles, qui m'épuisent; ses nerfs sont tendus à éclater, elle ne connaît plus de limites, elle souffre, elle crie, elle devient livide. Et ce soir, elle prolonge, prolonge, prolonge cette épouvantable agonie.

Le rideau tombe. Je vais sur la scène. Sarah semble à bout. On la rappelle six fois, et elle fait de véritables efforts pour aller saluer ; au dernier rappel, elle s'appuie fortement sur le bras du vieux Lacroix et, en chancelant, les yeux mi-clos, regagne sa loge, où elle tombe sur un fauteuil, les yeux fermés, les mains glacées. Nous l'entourons, ses doigts se cramponnent convulsivement au bras de Lacroix. On lui fait respirer des sels, de l'eau de Cologne; Marie, Dominga, lui tamponnent le front. Elle rouvre les yeux lentement et son regard fait le tour des personnes qui l'entourent avec une fixité un peu dure. Elle respire deux ou trois fois longuement, entr'ouvre les lèvres.... Peu à peu, elle revient à elle ; le vieux Lacroix, ému et un peu tremblant, me dit :

"C'est comme ça presque chaque fois qu'elle joue cette sacrée pièce. "
En effet, Sarah, à la fin de ce cinquième acte d'Adrienne, éprouve un profond épuisement nerveux et bien souvent elle s'est évanouie comme ce soir.
"C'est, dit-elle, une espèce d'anémie cérébrale d'un moment, causée par ces efforts effrayants ; ma circulation s'arrête, mes membres deviennent froids. "
Et elle va jouer cette pièce toute la semaine en province.... Je tâche de l'en dissuader. Mais elle s'obstine. "La Dame aux Camélias est archiconnue ", et elle tient à donner du nouveau. Ce qu'elle ne dit pas, je le devine, c'est qu'il lui faut de l'argent....

Je sors très ému par toute cette scène et mille réflexions se pressent dans ma tête.


1- Pièce tirée de As in a looking glass, roman de Philipps et où elle mourait en tombant d'abord sur les genoux, puis le front contre terre.
2- Stewart ! Stewart ! a bottle of iced Champagne ! Sarah n'est jamais parvenue à prononcer convenablement l'anglais.
3- Pièce de Romain Coolus.
4- Pièce de Sudermann.
5- Pièce comique en un acte, de Gozlan.

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