Marcel
Proust
Lettres à Reynaldo Hahn
Cher petit Maitre, Je viens de me réveiller - car je ne me réveille plus jamais qu'à 10 heures moins un quart - et suis très étonné de voir que le petit Maître qui vient de se réveiller à côté de moi a déjà eu le temps d'envoyer quelque [chose] de la rue du Cirque. Comment a-t-il fait. Je ne serai chez moi que ce matin. Pourtant à 6 heures je rentrerai ou 6 heures 1/4. Et ce soir je peux très bien aller vous dire bonsoir. Mais ne devrions-nous pas, pour nous exercer aux tempêtes futures, rester quelques fois huit puis quinze jours sans nous voir. - Oui, mais enfin ne commençons pas encore, s'il vous plaît. J'ai vu hier soir Madame Straus (mon petit maître passe avant tout, mais quand je ne dois pas le voir j'en profite pour aller voir quelques amis). Je lui [ai] demandé si la permission que elle m'avait donné [e] pour Trouville de vous amener est valable pour Paris 2. Elle sera charmée le jour que vous voudrez, avant 3 heures et quand elle aura repris ses dimanches soirs le dimanche soir. Je lui ai dit que vous regrettiez de ne pas voir Maurel dans Charles VI 3. Elle croit que " ces œuvres humaines ne Je suis votre poney. MARCEL. Que j'aime le petit rouet 5. Voilà des choses qui me ravissent. - Vous me trouverez très enrhumé. J'espère que vous êtes bien. Pardon de cette plume infecte. 1. Hahn 44-45 (n° XXVII). Cette lettre est postérieure au retour de Trouville (25 septembre 1894) (voir la note 2 ci-après). D'autre part, l'allusion à l'engouement pour les " œuvres légendaires et mystiques " semble situer cette lettre vers l'époque des premières représentations de Tannhäuser; elle daterait donc vraisemblablement d'avril ou de mai 1895 (voir la note 3). 2. Dans sa lettre de Trouville au même que j'ai pu dater de Ce dimanche matin [16 septembre 1894], Proust annonce "Mme Straus à qui j'ai parlé de vos " jolies qualités " et mieux sera ravie de vous recevoir" (voir ci-dessus, la lettre 187). 3. Charles VI, opéra de Fromental Halévy, avec paroles de Germain et Casimir Delavigne (1843). Cette œuvre n'eut pas de reprise. On donna à l'Opéra avec succès La Juive, œuvre du père de Mme Straus, jusqu'en 1893. A partir de cette date-là, l'on ne donna plus aucune œuvre d'Halévy à l'Opéra jusqu'à la guerre de 1914. Mme Straus attribuait le déclin de faveur des " œuvres humaines " de son père au succès des " œuvres légendaires et mystiques " de Wagner. Cf. ci-dessous la lettre 239, note 4. 4. Critique de l'espérance à la lumière de l'amour, paraîtra dans Les Plaisirs et les jours, Regrets et rêveries, XXV. 5. Peut-être s'agit-il du Rouet, de Paladilhe, une des six Chansons écossaises composées sur des vers de Leconte de Lisle.