Marcel
Proust
Lettres à Reynaldo Hahn
Mademoiselle, Je ne sais plus comment faire avec Baldassare, car il faut maintenant que je l'envoie à une revue et alors je ne verrais pas vos annotations. Pourtant votre opinion est à peu près la seule qui m'importe et si quand ce sera paru dans le volume on en parle ou on en écrit cela m'intéressera bien moins que l'opinion de la plus intelligente des femmes. Donc je ne sais plus comment faire. S'il n'y a que quelques lignes d'observations, vous pourrez peut-être me les transcrire... En tous cas je voudrais bien que vous envoyiez Baldassare à Madame Proust qui l'enverra au directeur de la revue en question. Je suis très énervé par des insomnies, mais je jouis pourtant de ce séjour grâce à Reynaldo et vous êtes associée à toutes nos impressions, ô ma Sœur Maria, confidente des pensées, phare des tristesses errantes, protectrice des faibles, gardienne des malades, source de bonté, piment d'esprit, rose éclatante, bonté courageuse, brise sur la mer, chanson des bonnes rames, frisson des petites mousses, gloire du matin, parfum d'amitié, âme des soirs que vous éblouissez de vos feux (astre amical), que vous animez de vos jeux (Puck et Titania) 2, que vous faites vibrer de votre rire, tour à tour écho de l'esprit et sa voix, que vous surprenez discrètement par vos toilettes, ô charme sans limites mais non sans mesure, vous qui donnez à vos robes un charme moral, modestie ou noblesse, des qualités littéraires, concision, voile jeté sur Votre respectueux. MARCEL. 1. BMP 3 (1953), pp. 25-26 (n° II); Hahn 49-50 (n° XXXII). Cf. la lettre précédente. 2. Puck, lutin, et Titania, la reine des fées, dans Le Songe d'une nuit d'été de Shakespeare.
9, boulevard Malesherbes