Reynaldo Hahn à Marcel Proust

[Le jeudi 21 mai 1896 ?] 1

Mon cher petit,

Papa me demande de sortir un moment avec lui à trois heures et comme je ne suis pas encore prêt, je ne veux pas me mettre et vous mettre en retard. Je dois aller et quatre heures chez Criticos 2 avec Edith Levy (corvée); en sortant de là, j'irai chez la Veuve 3, où je resterai jusqu'à cinq heures et demie; si je ne vous ai pas vu chez elle, je passerai à tout hasard chez vous; si vous ne pouvez y être, laissez-moi un petit mot me disant vos plans.

Je suis presque sûr que je n'irai pas ce soir à Hamlet 4. Mais n'abandonnez pas pour cela Lucien Daudet.

Je me suis sincèrement reproché hier en rentrant de vous avoir grondé ( ?) à propos de ce qui s'appelle 5 ;  mon bon petit, la vie est si courte et si ennuyeuse qu'il est bien juste ne pas se priver des choses (même les plus insignifiantes) qui amusent ou font plaisir, quand elles ne sont pas coupables ou nuisibles - Ainsi, pardon, cher petit Marcel. Je suis quelquefois bien insupportable ; je m'en rends compte.

Mais nous sommes tous si imparfaits !

Mille tendresses

Reynaldo.

1. Lettre écrite le jour d'une représentation d'Hamlet, peut-être celle de la première (voir la note 4 ci-après).

2. Criticos : Louis Ganderax ?

3. La Veuve : Mme Madeleine Lemaire.

4. Il s'agit sans doute de l'opéra d'Ambroise Thomas. L'Opéra en donna quinze représentations en 1896, dont la première eut lieu le jeudi 21 mai.

5. Ce qui s'appelle : Lucien Daudet ?