Marcel Proust
Lettres à Reynaldo Hahn
[Cabourg, peu après le 8 août 1910] 1
Mon cher petit Binibuls
Je te dis un très petit bonsjour parce que et parce que. T'ai-je dit que ici les Roussy et Valentine Thomson, lui (Roussy) exemple de la vulgarité médicale 2.
Le Père Plantevignes qui a des furoncles depuis un an auxquels tous les traitements y compris la staphilase n'ont apporté aucun soulagement voudrait savoir l'adresse d'un bon médecin homéopathe. Comme tu m'as parlé d'un et d'un très fort, dis et dis. Sais-tu quel est celui qui soigne Pillaut 3 et celui d'Henraux ? Je te préviens de ne pas te servir pour rien de la mycolisine ou nom approchant. J'ai appris que cela peut donner de la température et même assez élevée.
Pierre Laffite qui est ici regrette beaucoup que tu sois au Journal car il t'aurait demandé plutôt pour son journal à lui 4.
Je t'envoie ô mon maître l'affection de ton enfant, de ton frère, de ton ami, de ton poney, de ton petit malade [.) Adieu mon vieux Reynaldo
Ton enfant
Marcel.
Un jeune pianiste nommé Schmittz 5 accompagnait ici Litvinne 6 ainsi qu'un violoncelliste professeur au Conservatoire du Mans 7 qui est ami de Nicolas et prend l'apéritif avec lui.
J'ai été reboulé ce matin parce qu'on venait dans le magasin de meubles contigu à ma chambre chercher des meubles pour faire un salon à la Cavalieri 8. Mais je ne l'ai pas vue. En revanche deux beautés une Mlle Gladys Snellenburg (ni Cléo 9, ni Dsse de Morny 10) et une Me Hamoir (née Vanssay 11). Et Me Roussy la trouves-tu une beauté, mon enfant [.]
2. Proust avait mentionné leur présence dans sa lettre précédente au même. Le docteur Gustave-Samuel Roussy (1874-1948), né à Vevey (Suisse). Cf. Cor, VI, 263, note 10.
3. Il s'agit sans doute de Julien Pillaut (voir Cor, IV, 132, note 5). Il était le fils de Pierre-Léon Pillaut (1822-1903), compositeur de musique français, conservateur du musée instrumental du Conservatoire de musique de Paris. Goncourt évoque ce dernier " avec son dilettantisme musical de lettré et de penseur " causant de Wagner. Goncourt, Journal XV, 184.
4. Sic. Pierre Lafitte s'occupe de réunir des rédacteurs pour le journal qu'il se prépare à lancer: Excelsior, illustré quotidien dont le premier numéro paraîtra le 16 novembre 1910. - Voir Cor, VIII, 205, note 15.
5. Sic. Il s'agit de Robert Schmitz, né à Paris en 1889, pianiste, premier prix du Conservatoire de Paris en 1910. Cycl. Mus., 1637.
6. Félia Litvinne. Voir Cor, VI, 178, note 15.
7. Il s'agit de Paul Bazelaire, violoncelliste et compositeur de musique français, né à Sedan en 1886, premier prix du Conservatoire de Paris en 1897. Cycl. Mus. 141. - Comœdia, 7 août 1910, p. 4, annonce qu'il y aura à Cabourg le lundi 8 à huit heures 3/4: " Concert de Mme Félia Litvinne, MM. F. Bazelaire et R. Schmitz. " Cf. Le Figaro, 29 juillet 1910, p. 5.
8. Il s'agit de Lina Cavalieri (1874-1944), née à Viterbe (Italie); débute par le café-concert, qu'elle abandonne pour se consacrer aux grandes scènes lyriques. A en croire Fouquières, cette belle cantatrice avait commencé par vendre des citrons sur les quais de Naples pour devenir finalement une des reines de Paris. - Fouq. 2, 221.
9. Allusion à Cléo de Mérode, célèbre danseuse de l'Opéra; l'on disait que Léopold II, roi des Belges (1835-1909) l'avait aimée. Voir Cor, VII, 283, note 9.
10. Duchesse de Morny, née Carlotta-Maria-Eustacia Guzman Blanco (1868-1939), fille du président du Venezuela.
11. Il s'agit de Mme Paul Hamoir, née Marie-Thérèse de Vanssay, avenue des Champs-Elysées, 122 (VIII"). Le Figaro du 15 août 1910, p.2, la remarque aux courses de Deauville-Trouville, parmi les personnes reconnues au pesage et dans la tribune réservée. Le lendemain, on la note de même, avec la duchesse de Guiche, et Mme Émile Straus. Elle est mentionnée également le 17 et le 23.