Marcel Proust
Lettres à Reynaldo Hahn
[Vers le début de novembre 1911] 1
Mon petit Bugnibuls
Pardon de vous parler de choses telles. Comme en ce moment vous ne pourrez pas passer chez Hopillard 2, pouvez-vous me donner une idée n'importe laquelle de cadeau pour Peter 3. Si je voudrais ne pas tarder c'est moins à cause de lui qu'à cause d'Hopillard à qui j'ai renvoyé un objet il y a déjà trois mois en lui disant que je passerais.
2° Me Helleu ayant refusé de me dire ce que désirait sa fille pour son mariage 4 a fini par me dire: " deux petits peignes pour mettre dans les cheveux que vous trouveriez chez tous les bijoutiers ". En un mot qu'elle vous dirait, votre sueur pourrait vous dire (j'ai vraiment un beau style) si je trouverais cela chez ce Boin 5 où elle m'a eu ces merveilles de montres 6, comment c'est fait et combien elle croit à peu près que cela coûte (les mieux) pour les deux. Si cela vous fasche de lui parler de ces idioties ne le faites pas.
Cher genstil je voudrais bien saboir comment les petites cautérisations ont pu être arrangées, ou le seront. C'est pour quoi je voulais vous parler dans le téléphone, n'aimant pas mêler Demos aux choses saintes. Vous m'écouteriez avec autant d'indulgence que Zadig si tout le temps que je suis seul (c'est-à-dire tout le temps) vous m'entendiez répéter: " Mon pauvre genstil " ou " Qu'est-ce que tu en penses mon genstil ". Si je deviens gâteux avant de mourir il est certain que je répéterais du matin au soir ce que je rabâche du soir au matin: " Oui mon petit genstil, oui mon pauvre petit genstil, si tu voyais, tu verrais que je ne pense pas à autre chose qu'à ton chasgrin mon petit cher genstil ".
Adieu mon vieux Reynaldo.
MARCHNIGULS.
1. Communication par M. Marc Loliée. Cette lettre semble suivre à peu d'intervalle celle du même au même que nous datons du 26 octobre 1911: allusion au mariage de Peter (note 3 ci-après). Cf. l'allusion au mariage d'Ellen Helleu et la note 4.
2. Sic. Hopilliart et Leroy, antiquaires. Voir Cor, VIII, 192, note 11.
3. Proust parle pour la première fois du mariage de Peter dans sa lettre du 26 octobre 1911 au même ci-dessus.
4. Il s'agit du mariage qui sera rapporté dans Le Figaro du 21 mars 1912, page 3, en ces termes: " Hier, en l'église Saint-Honoré d'Eylau, a été célébré, dans l'intimité, le mariage de M. Emile Orosdi, fils de Mme Orosdi, avec Mlle Ellen Helleu, fille de M. Paul Helleu, l'artiste éminent, chevalier de la Légion d'honneur, et de Madame née Louise Guérin. Les témoins du marié étaient: Mme Léon Orosdi et le baron de Boï d'Orosdi; ceux de la mariée: le comte Robert de Montesquiou-Fezensac, et M. Paul Louis-Guérin, son oncle. "
5. Henri Boin-Taburet frères & successeur, orfèvrerie, 3, rue Pasquier. P.-Hach. 1910, p. 764.
6. Allusion aux petites montres en émail que Mme de Madrazo avait trouvées pour Proust, qui voulait en faire cadeau aux demoiselles d'Alton en 1910. Voir ci-dessus, lettres 80, 81, 82 et 88.