V
Comment émouvoir
MESDAMES,
MESDEMOISELLES, MESSIEURS, Dans notre première séance, nous nous étions proposé
de rechercher les raisons qui incitaient l'homme à chanter, et nous sommes
parvenus sinon à les retrouver toutes du moins à en découvrir assez pour nous
fournir le prétexte de rester ici une heure ensemble.
Dans
la seconde séance, nous avons tâché de déterminer les règles essentielles du
mécanisme vocal.
Dans
la troisième, nous nous sommes occupés de certains procédés de diction et, là
encore, j'ai pu vous donner quelques renseignements assez précis en me basant
sur des principes connus, prouvés et, pour ainsi dire, incontestables.
La
dernière fois, ma tâche était un peu plus difficile, car j'entreprenais non
seulement de définir le style, mais encore de discuter certaines opinions
répandues touchant le respect qu'on doit aux traditions. Aujourd'hui, je me
trouve devant une question plus embarrassante encore : comment émouvoir ? En
effet, le champ de la sensibilité humaine est infini, le degré et la qualité
de l'émotion varient selon chaque individu, et cette multiplicité même est
soumise encore aux incessantes évolutions du temps et des mours, comme
Par
conséquent, si vous le voulez bien, nous allons nous tourner vers le passé,
comparer des époques diverses et nous pourrons, je crois, nous faire une idée
des quelques sentiments qui, à travers les siècles, demeurent immortels dans le
coeur des hommes et peuvent être réveillés encore aujourd'hui comme ils
l'étaient autrefois ; en même temps, nous examinerons les moyens par lesquels on
peut les émouvoir. Mais, d'abord, remarquons qu'il y a des gens extrêmement
sensibles et d'autres qui ne le sont pas du tout. Un jour, Liszt venait de
jouer de façon géniale et pendant près d'une heure sans discontinuer
quelques-uns des plus beaux fragments de Beethoven, de Mozart et de Schumann ;
tous les auditeurs étaient profondément émus. Un monsieur, qui était là, ne
trouva pourtant à lui dire que ces mots : " Ça ne vous fait pas mal aux doigts
de taper comme ça ? "
Par
contre, je connais une jeune femme, qui non seulement est particulièrement
accessible aux sensations musicales, mais encore exprime ses émotions de la
façon la plus étrange. Voulant, un jour, m'adresser un compliment sur une
mélodie intitulée L'Heure exquise, que je venais de chanter en m'efforçant
d'être aussi vaporeux que possible, elle s'écria
"
Ah ! cette musique ! Ça vous flanque des coups de botte dans l'estomac ! "
Bien
des gens pensent à tort que les émotions artistiques doivent, pour être
complètes, avoir ce
D'ailleurs, à le prendre dans son sens véritable, qui est tout médical, le mot émotion
signifie simplement un trouble dans l'économie psychologique. Il suffit de
déterminer ce désordre même légèrement, parfois de façon à peine appréciable,
pour qu'il y ait " émotion ". Or, il arrive fréquemment que des chanteurs très
doués sous le rapport de la voix, et qui, intéressants par leurs dons et leur
habileté vocale, sont agréables à écouter, sont, en même temps, très ennuyeux ;
leur travail est
En
ce moment, Mme Sarah Bernhardt donne un exemple admirable de cet abandon
sublime ; dans Jeanne Doré, quand elle vient au tribunal défendre son fils, elle
pleure tellement et des larmes si douloureuses qu'elle peut à peine parler et
qu'elle s'arrête parfois entre deux mots, la voix coupée par le flot qui lui
sort du coeur. Ce spectacle merveilleux et déchirant se reproduit chaque soir.
Par quels moyens mystérieux Mme Sarah Bernhardt parvient-elle à se mettre
périodiquement dans cet état de désordre nerveux, tout en conservant un pouvoir
mental absolu ? Peut-être consentira-t-elle à vous le dire, ici même, quand elle
viendra parmi vous. Moi, je ne tenterai même pas de le découvrir : il est
sacrilège de vouloir, dans le seul but de satisfaire une orgueilleuse
curiosité, explorer les arcanes secrets du génie.
Mais,
encore une fois, en matière de chant, ces excès seraient funestes. L'émotion la
plus profonde peut envahir le chanteur au point même de faire
Or,
vous le savez, rien - et pour parler crûment - ne stimule la muqueuse nasale
comme de pleurer ; les sanglots coupent la respiration ; les sursauts de la
douleur sont incompatibles avec la tenue du son. D'ailleurs, nous le savons par
un exemple illustre, puisque Mme Desbordes-Valmore dut renoncer à la carrière
de cantatrice parce que, comme elle l'a écrit elle-même, son chant la faisait
pleurer. Pourtant, si le chanteur ne pleure pas, il fait parfois pleurer, et
cela tout en restant, jusqu'à un certain point, maître de soi. Ceux qui
croient, au contraire, qu'on peut causer de l'émotion sans en ressentir du
tout, que l'on peut demeurer froid, entièrement froid et allumer une étincelle,
entièrement sec et faire pleurer, ceux-là se trompent encore et attribuent à
l'artiste un pouvoir qui n'a jamais appartenu qu'à la baguette de Moïse. A ce
propos, il me revient une anecdote que vous goûterez peut-être et que je vous
garantis vraie, sans pouvoir ni vouloir en nommer les héros. Un grand comédien
français causait avec un grand comédien américain et lui disait qu'en scène il
demeurait complètement froid, indifférent aux sentiments des personnages qu'il
incarnait et ne provoquait l'émotion qu'à force de talent et de procédés
techniques ; il ajoutait, pour confirmer cette déclaration
"Dans
L'Aventurière 1, quand je m'endors à table, il m'arrive souvent de dormir pour de
bon, jusqu'à ce que Fabrice me tape sur l'épaule ; cela me réveille, et je
recommence à jouer.
-
Oui, répondit froidement son interlocuteur, et alors c'est nous qui nous
endormons. "
Je
crois, je suis même sûr (et dernièrement
C'est
cette combinaison de deux états cérébraux qui fait précisément le talent du
chanteur.
Mais
ce talent-là encore, il y a plusieurs façons de l'avoir et de l'utiliser ; certains
chanteurs, comme la Krauss, par exemple, ou la Malibran, en possession d'une
technique très sûre et après avoir tout combiné d'avance, improvisent
subitement, au moment de l'exécution, et par une inspiration géniale, des
effets imprévus. Ces changements soudains, ces brusques revirements de leur
volonté sont provoqués parfois par des circonstances tout à fait infimes.
D'autres
chanteurs, au contraire, ceux dont l'esprit domine les nerfs (comme Faure, par
exemple), après avoir préalablement prémédité les combinaisons psychologiques
qui leur permettront de provoquer l'émotion, réaliseront toujours leurs effets
de la même façon, sans y rien changer.
Certains
chanteurs économisent et distribuent leur émotion avec science et prudence ; à
ceux-là il suffit parfois d'une légère altération de la voix, d'un petit
surcroît d'intensité dans la diction pour produire une sensation profonde. M.
Chaliapine est de ceux-là. D'après ce que j'ai recueilli de renseignements sur
Mme Carvalho, elle devait, dans un tout autre genre et ne visant guère qu'à
l'émotion délicate et discrète, faire partie de ces artistes privilégiés. Que
ne donnerais-je pour avoir pu lui
Mais
il y a une troisième catégorie de chanteurs : ce sont ceux qui ont du charme
et qui, même sans le vouloir, même sans y songer, et tout autant par la qualité
de leur chant que par une sorte d'émanation qu'ils dégagent, confèrent à la
musique, - même en prononçant des paroles indifférentes, - une émotion douce et
chaude. Celui qui a personnifié ce genre particulier est M. Jean de Reszké ;
même dans les moments héroïques où il provoquait une émotion virile et
puissante, son chant conservait je ne sais quelle inflexion affectueuse,
persuasive qui, sans l'affadir, le rendait plus séduisant encore, et je me rappelle
que dans Le Prophète, quand il s'écriait
Voyons,
maintenant, quel fut, à certaines belles époques de la musique, le genre
d'émotion qu'on recherchait. Cela nous fera faire un peu d'histoire et me
consolera de vous avoir si peu parlé, en ces séances, de l'évolution de l'art
vocal. Nous ne remonterons pas trop haut, à peine au commencement du XVIIe
siècle, au moment où se produisit en Italie une réaction contre le chant
polyphonique qui avait été en honneur jusque-là et qui, sous l'impulsion
d'artistes de grand talent, tels
Je
ne vous dirai pas comment l'opéra se forma peu à peu ; mais vous pourrez l'apprendre
dans certains ouvrages remarquables, dans celui de M. Romain Rolland, par
exemple.
Le
chant, sous l'influence de ces maîtres que l'on peut appeler les maîtres
primitifs de la musique dramatique, prit un caractère de sobriété expressive
où la vocalisation (c'est-à-dire la légèreté, la souplesse) ne tenait qu'une
place relativement insignifiante.
Ce
genre, qui imposait un enseignement très spécial, régna assez longtemps,
suscitant des luttes et des disputes de toutes sortes ; mais, au bout d'un certain
nombre d'années, l'on assista à une renaissance graduelle de la virtuosité
vocaliste. Impatiente de régner de nouveau, elle se superposa peu à peu à
l'art simple et pur des grands maîtres italiens et adjoignit aux larges récits
déclamés - par lesquels débutaient généralement les morceaux - des airs de
bravoure où la voix pouvait briller sous les formes les plus variées, exécutant
des passages d'une difficulté extrême et particulièrement propices aux succès
du chanteur.
La
virtuosité, au moyen de ces airs chaque jour plus exclusivement destinés à la
favoriser, prit de plus en plus de place dans la musique de théâtre et, dans la
seconde partie du XVIIIe siècle, finit par l'envahir presque entièrement. La
belle mélodie calme disparaît, la fioriture règne en maîtresse souveraine et
c'est alors que les vieux chanteurs commencent à déplorer la disparition du bel
canto.
Les
maîtres du chant de cette époque nous apparaissent comme des bougons,
grommelant contre le goût du jour, se lamentant sur la perte des belles
Bien
des gens confondent aujourd'hui, à tort, le bel canto avec l'art romantique qui
se développa plus tard, dans les cinquante premières années du XIXe siècle.
Tachons
de mettre un peu d'ordre dans cette confusion.
Je
crois que le bel canto proprement dit ne se préoccupait pas, en premier lieu,
de l'interprétation spirituelle des oeuvres, mais de donner à la voix, au
phrasé mélodique, à la légèreté, à l'agilité, une perfection absolue ; au son
une variété infinie, à la prononciation une pureté irréprochable ; en un mot
d'obtenir de l'appareil vocal, indépendamment des autres facteurs d'émotion,
tout ce qu'on en pouvait tirer au point de vue de la sonorité et de la
réalisation purement matérielle. On estimait que le plaisir causé par une belle
voix bien disciplinée suffisait, ou plutôt était la principale condition pour
servir utilement de la musique et pour émouvoir.
Bien
entendu, les chanteurs vraiment artistes et d'esprit cultivé ne s'en tenaient
pas à cette réalisation matérielle ; ils donnaient à leur performance une plus
grande beauté en y apportant de l'intelligence, du goût et du sentiment. Mais,
encore une fois, ce qu'ils recherchaient tout d'abord c'était la perfection du
beau chant, - bel canto.
Et
dans ce bel canto, ne croyez pas qu'on appréciât surtout la virtuosité rapide,
la perfection acrobatique, comme on le fit plus tard, - c'est là, justement,
que réside la différence entre le bel canto et l'École romantique dont nous
voyons encore de temps à autre paraître un représentant isolé (comme nous avons
entendu, dernièrement, Mme Barrientos, dont le chant est certainement très
brillant et charmant, mais à propos de qui l'on a prononcé de façon bien
inconsidérée le mot bel canto).
Ce
qu'on recherchait surtout, dans le bel canto, c'était la qualité, le lié, la
souplesse qui faisaient que les sons avaient, selon la volonté du chanteur, non
pas trois, quatre ou cinq sonorités, mais bien dix, vingt, trente ; il fallait
pouvoir modeler la voix à l'infini, sans lui infliger de secousse, en la
faisant passer par toutes les couleurs du prisme sonore. A cet effet, les
professeurs employaient naturellement des systèmes différents ; chacun avait sa
méthode, ses manies, et nous connaissons l'anecdote de Porpora et de son élève
Caffarelli, qui devint, plus tard, le plus grand et le plus illustre chanteur
de son temps. Intéressé, séduit par les dons vocaux du jeune Caffarelli,
Porpora, qui était alors l'arbitre incontesté du chant en Italie, - peut-être,
mesdemoiselles, le savez-vous, si vous avez lu Consuelo - qui fut le maître
d'Haydn, était certainement, nous n'en pouvons douter, un très grand
professeur. Porpora écrivit sur une page quelques exercices assez simples, en
apparence très faciles et que les élèves du Conservatoire, aujourd'hui,
dédaigneraient comme infiniment trop aisés pour eux ; il fit travailler à
Caffarelli cette page d'exercices très lentement, non pas durant des semaines,
non pas durant un ou deux mois, mais durant quatre ans, sans jamais lui
permettre de chanter autre chose, entrant en fureur et saisissant
" Va, je ne peux plus rien t'apprendre ! Tu es le premier chanteur d'aujourd'hui. "
En
disant cela, il ne voulait pas dire que Caffarelli eût atteint le degré
supérieur que doit viser un grand artiste ; il ne voulait pas dire : "Tu peux,
maintenant, te produire ; tu peux aborder le théâtre, tu peux avoir la
prétention d'éclipser tous tes contemporains. " Ce qu'il voulait dire, c'était
: "Tu es maintenant en mesure d'aborder l'étude de toutes les autres branches
de l'art du chant ; tu es doué désormais d'un fonds vocal incomparable, d'un
ensemble de principes parfaits qui te permettra de tout chanter et d'atteindre,
peu à peu, à la suprême perfection de l'art ! "
C'est
ce que n'ont pas compris beaucoup de gens à qui l'on a raconté l'anecdote, et
qui se sont imaginé que Porpora considérait comme suffisante pour former un
artiste cette page d'exercices - que nous savons être très lents, très simples
et qui n'étaient même pas, à vrai dire, des vocalises.
Il
est bien certain que, lorsqu'il la faisait chanter d'innombrables fois chaque
jour à son élève, très lentement, c'était pour épier les particularités de sa
respiration, la façon dont le son naissait, se développait, s'épanouissait,
pour lui donner une maîtrise complète dans le modelage de ce son, pour " briser
" cette voix comme une paire de souliers neufs, pour l'adapter totalement à la
volonté du chanteur, pour l'assouplir à ses caprices, estimant qu'après ce
travail, la voix serait dans un état qui lui permettrait de s'attaquer à des
difficultés de plus en plus grandes, et de servir ensuite à l'expression.
Mais
le bel canto se préoccupait aussi du sentiment. Vous savez ce que c'est que de
styliser. On prononce ce mot, depuis quelques années, avec une fréquence
excessive, mais on l'emploie souvent fort mal. La stylisation est un procédé
artistique qui consiste à faire subir, dans un but décoratif, des déformations
aux choses qu'on représente par exemple, si l'on veut styliser une fleur, une
plante, un insecte, un oiseau, tout en laissant au modèle ses particularités
essentielles, on lui imprime des modifications afin de lui donner un équilibre
et une harmonie qui le rendent propre à l'ornementation.
C'est
un peu ainsi que procédait le bel canto. Je ne crois pas qu'il permît le
réalisme dans l'expression chantée ; je crois qu'on s'inspirait de la parole,
comprenez-moi bien, de l'extériorisation verbale, qu'on y prenait ce qu'elle
avait d'essentiel et qu'on l'embellissait, qu'on l'ennoblissait en chantant.
L'expression était évidemment juste et marquée, mais sans excès, sans relief
excessif, sans cette vérité réaliste que Gluck exigeait plus tard de ses
interprètes. L'accent était douloureux, - mais sobre ; il était joyeux - mais
sobre. C'eût été offusquer la beauté du chant, la noblesse du rite vocal que
d'y admettre un élément trop humain, trop matériellement humain. Alors, dans
ces beaux chants, dans ces beaux sons, à travers cet artifice harmonieux et
mélodieux transparaissaient les
Voilà,
mesdemoiselles, ce qu'était le bel canto. Lulli, disciple des primitifs de
l'opéra italien, acclimata en France leur style et leur déclamation, tout en
les conformant à la régularité pompeuse qu'on aimait alors chez nous. Je vous
ai parlé de lui la dernière fois et nous n'avons pas le temps de nous attarder.
Chez
Rameau d'abord, puis chez Gluck, l'expression procède autrement. Dans les
passages dramatiques de Rameau, et malgré la dignité qu'ils conservent, le chanteur
peut se permettre plus de réalisme. Rameau est un homme de l'Encyclopédie ; la
nature humaine le préoccupe avec ses traits réels, ses oppositions de beauté et
de laideur, ses violences et ses faiblesses. Il ne réussit pas toujours à la
rendre vraiment vivante et vibrante ; il y a dans ses longs dialogues bien de la
" stylisation " encore ; le poncif de la déclamation d'alors, juste, sobre et
mesurée, y règne le plus souvent ; mais parfois, tout à coup, un souffle de
vérité vient secouer les plis majestueux des oripeaux, disperser l'attirail
théâtral, jeter bas les masques et les perruques ; c'est alors l'humanité
palpitante qui apparaît, comme dans ce fragment de Castor et Pollux, où
Pollux, dans un admirable mouvement, implore Jupiter de lui permettre de
descendre aux Enfers pour en ramener son frère Castor, - et qu'il serait
absurde de chanter avec les précautions du bel canto.
Mais
avec Gluck se présente, pour le chanteur, une difficulté nouvelle. Gluck, en
même temps
Le
souci de l'expression vraie, émouvante est rare chez les chanteurs d'à présent.
Je vous ai cité Mme Lehmann, disant qu'elle ne pouvait chanter un air de
Beethoven parce qu'elle ne le " tenait " pas encore bien, après dix-sept ans
d'études. Eh bien ! cette mentalité-là ne se rencontre pas souvent aujourd'hui.
Si,
parfois, dans mes articles sur le Conservatoire, je me laisse aller à ce qu'on
appelle, bien à tort, de la " rosserie ", c'est que je sais combien
Telle " artiste ", admirée parce qu'elle est jolie et qu'elle a une voix éclatante,
vient aux répétitions comme par condescendance, arrive en retard, ne sait pas
son rôle, accueille deux ou trois observations timides du chef de chant avec
insouciance, répète négligemment et s'en va dans un frou-frou de soie et des
cliquetis de sautoirs, car elle doit aller, avant de dîner, à deux essayages et
à plusieurs rendez-vous.
Le
soir où elle chante, elle n'est préoccupée que de son costume. Son chant, le
personnage qu'elle interprète, les effets artistiques qu'elle devra rechercher,
l'émotion qu'elle pourra éveiller, tout cela n'existe pas pour elle, elle est
sûre d'avoir, le lendemain, des entrefilets élogieux dans les journaux, et,
une fois la représentation finie, elle ne pense plus à son rôle, ne songe plus
à son chant jusqu'à la représentation suivante. D'ailleurs, n'a-t-elle pas
raison, puisque le public le supporte et puisque, au bout de deux ou trois ans
de cette vie brillante et stérile, elle nous est enlevée par l'Amérique, malgré
les lamentations des ignorants qui l'admirent.
Eh
bien ! croyez-moi, on ne peut pas acquérir de talent ainsi. On ne l'acquiert
qu'en pensant de façon continue à son métier, à son art. Quand on aime vraiment
le chant, tout ce qu'on voit, tout ce qu'on entend vous sert. On adapte à sa
chère préoccupation toutes les observations qu'on fait
L'expression,
chez Gluck, est toujours mise au service de sujets grandioses, épiques ou
fabuleux ; ses personnages sont Orphée, Iphigénie, Agamemnon, Renaud,
Clytemnestre, Alceste ; ce sont des figures importantes qui excluent toute idée
de familiarité ; leurs sentiments, leurs gestes (et vous savez que Gluck, dans
sa musique, se sert beaucoup du geste pour exprimer les sentiments, qu'il
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