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CHAPITRE VIII
I
Dans la vie, comme dans les rivières, il y a parfois de longues droitures pendant lesquelles rien de particulier ne se présente. L'eau coule, le soleil brille, sans que l'attention soit éveillée. Et il semblait à lady Béatrice, assise dans sa chambre un matin, qu'elle voguait depuis quelque temps sur une de ces périodes inaccidentées. D'abord, ils n'étaient pas allés à Londres ce printemps-là, et, même à Medhurst, un séjour continu de dix-huit mois, cela finit par devenir monotone. Son mari vieillissait sensiblement, il dormait davantage après le dîner, il était moins enclin à s'éloigner de chez lui. Aussi, à part une dizaine de jours passés en Ecosse avec les deux garçons et May chez des gens assez ennuyeux, rien n'avait interrompu le trantran casanier de l'existence. Dans le domaine moral, se disait-elle, avait eu aussi le choc causé par la conduite de Val à Rome, puis, quelque temps après, une petite scène très désagréable avec lui, un soir, à son retour de Cambridge. Elle se rappelait encore avoir mal dormi cette nuit-là. Le lendemain matin, d'ailleurs, les choses semblaient s'être arrangées; on voyait que Val, lui aussi, avait peu dormi, mais il n'était rien survenu de particulier et bientôt elle avait senti se dissiper cette angoisse dont l'entretien pénible de la veille avait marqué le point culminant. Elle se rappelait avoir recommandé à Val d'aller voir le père Maple, mais se réjouissait maintenant qu'il n'eût pas suivi ce conseil. Savait-on jamais quelles complications pouvaient surgir d'une trop grande intimité avec un prêtre catholique ? Certes, elle appréciait le père Maple ; il était venu dîner deux ou trois fois encore pendant l'été ; mais elle ne lui avait plus reparlé de son fils. D'ailleurs, il s'était absolument trompé en désapprouvant le système adopté à propos de l'affaire du duel et qui avait, au contraire, admirablement réussi ; personne n'avait fait allusion à cette histoire. Quel soulagement ! Ces choses-là, mieux valait les ignorer, et, si possible, les oublier.
On était en octobre. Le calme allait cesser. Elle irait le 8 avec son mari et sa fille passer une semaine à Debenham où régnait à présent son frère aîné. Val resterait à la maison, devant partir pour Cambridge le 10. D'ailleurs, il chassait déjà tous les jours à Medhurst ; elle n'avait donc pas de soucis à se faire à son sujet. Somme toute, elle était contente de lui. Il abandonnait, du moins elle le croyait, cette contrainte singulière qui l'avait tant inquiétée. Evidemment, il se tenait très tranquille, mais les jeunes gens étaient souvent silencieux et Val n'avait jamais été bruyant. Il n'y avait plus eu entre son père et lui de scènes pénibles comme le jour où les chiens s'étaient battus dans le village. Il était réservé, n'avait invité aucun de ses amis à Medhurst, ne manifestait pas le désir de voir des étrangers ; mais son air boudeur avait entièrement disparu. Il commençait, trouvait-elle, à prendre un peu les façons d'Austin.
Elle réfléchissait ainsi, assise dans son fauteuil, après s'être entretenue avec la femme de charge et avoir écrit plusieurs lettres. On frappa à
- Que faut-il faire des clefs ? demanda-t-il sans préambule. Le mieux, je crois, serait de les donner en garde à Masterman.
Elle était familiarisée avec le genre d'humeur où il se trouvait ; humeur passagère mais à vrai dire un peu énervante, qui se manifestait par une exagération du sens de la responsabilité et qu'une épouse moins respectueuse n'aurait pas hésité à qualifier de tatillonne. Elle comprit qu'il faisait allusion au départ du surlendemain et à la nécessité de mettre en sûreté quelques clefs précieuses et quasi symboliques : celle du petit coffre-fort, par exemple, c'est-à-dire du coffre-fort qui recelait certaines pièces d'argenterie ayant une vague corrélation avec Charles II, un éventail de
- Mais oui, mon ami, en effet, dit-elle ; n'est-ce pas toujours lui qui les garde en notre absence ?
- Ma chère, vous avez donc oublié ? reprit le général en insistant d'un air solennel. Ces clefs-là doivent toujours être gardées par un membre de la famille, quand il s'en trouve un au château.
Et son regard prit une expression réprobatrice. Alors elle se rappela ce détail de la terrible étiquette des Medd, plus rigide que celle d'aucune cour et qui prévalait chaque fois qu'il s'agissait de
Elle répondit, un peu confuse :
- Val sera ici jusqu'au 10, et je crois qu'Austin doit arriver ce jour-là pour chasser - n'est-ce pas ?
- Ainsi, vous pensez que je puis en toute sécurité les confier à Val ? demanda-t-il comme quelqu'un qui résout des choses définitives.
- Je crois que le pauvre garçon serait peut-être blessé que vous ne le fissiez pas ; surtout s'il se souvient de cette coutume.
- Très bien, dit le général, de l'air d'un homme qui se range, par condescendance, à un avis contraire au sien (et, par conséquent, moins raisonnable). Après quoi il sortit avec précipitation.
Lady Béatrice ne put s'empêcher de sourire. Elle voyait en pensée son mari, avec sa culotte de cheval, marchant très vite pour aller révéler à son fils cadet la responsabilité dont il l'investissait pour une durée de deux jours, puis rentrant dans son cabinet de travail afin d'y compléter ses dispositions de départ ; son entrevue avec Masterman ; son agitation en rangeant les tiroirs... Mais cette innocente ironie ne dura qu'un instant : bientôt l'orgueil des Medd et sa pourpre glorieuse vinrent envelopper à nouveau lady Béatrice de leur écrasante splendeur.
II
Elle n'avait fait erreur que sur un seul point. Son mari ne se rendit pas dans la chambre de Val, mais fit notifier cérémonieusement à celui-ci, par l'entremise de Masterman, qu'il l'attendait dans la bibliothèque.
L'état d'âme du vieillard à l'égard de son fils est assez malaisé à décrire. Ses sentiments, toujours massifs, d'un seul bloc, étaient de ceux qui défient l'analyse. En lui deux grandes idées fixes se faisaient face, - deux idées fixes devant lesquelles toute affection, toute tendresse domestique rampaient comme des fourmis au pied d'une chaîne de montagnes : l'orgueil familial et le déshonneur. Ces deux idées dominaient tout ; et sept mois écoulés n'étaient point parvenus à les concilier. Val, la chair de sa chair, le sang de son sang, Val - un Medd - avait outragé sa naissance... Mais, à vrai dire, les débats intérieurs du général n'importent guère... Extérieurement, il traitait Val avec une froide aménité, lui parlait peu et ne lui faisait jamais d'observations. (Val, d'ailleurs, ne lui donnait pas de raisons d'en faire.) S'il ne pouvait estimer Valentin, il gardait pour lui la considération due, malgré tout, à un Medd. En cette occasion particulière, il eut conscience d'accomplir un acte de haute générosité.
- Je voulais te parler des clefs, dit-il, en voyant entrer le jeune homme. Je te les confierai quand nous partirons, et tu les remettras à Austin le 10, dès son arrivée.
- Très bien,
- Regarde-les. Les voici, toutes les trois. (Il les lui tendit à travers la table), Elles ont des étiquettes et sont, par conséquent, faciles à reconnaître : celle du petit coffre à argenterie, marquée C. A. ; celle de la grande vitrine, marquée G. V., et celle du cabinet des parchemins marqués C. P. Tu as bien compris ?
- Oui.
Le général passa sa langue sur ses lèvres d'un air très important.
- Bien. C'est ici que je les mets. (Il désigna un des tiroirs de la table). Masterman aura les clefs de la maison, comme d'habilude. Mais ces trois-là, je les confie à ta garde. Tu comprends ?
- Oui.
Le général fit une pause... (Oui, décidément, il valait mieux mettre les points sur les i. Peut-être Val ne mesurait-il pas toute l'étendue de la responsabilité.)
- Je fais cela, mon garçon - mais tous les pères ne le feraient pas, étant donné les circonstances... tu comprends, hein ?
Il vit affluer une très vive rougeur sur le visage de son fils.
- Oui, papa ; je comprends parfaitement. Je vous remercie beaucoup.
- Très bien. C'est tout, mon garçon.
Quand Val fut reparti, le général remit soigneusement le petit trousseau dans le tiroir qu'il referma. Il était content, somme toute, d'avoir conféré cet honneur au jeune homme. Peu de pères, se disait-il, eussent agi de
Quand la famille se déplaçait, ne fût-ce que pour quelques jours, il y avait une grande abondance de choses à faire dans la maison ; des tiroirs à fermer à clef, des papiers à mettre en ordre ; des caisses, ne contenant d'ailleurs rien de particulier, à transporter de ci de là. Et puis, il y avait des entrevues avec Masterman - conversations secrètes où il était question de la cave ; des entretiens avec Mr. Watson, le piqueur, traitant de l'emploi des chevaux et de leur exercice ; des colloques avec Mr. Kindersley, le garde chef, au sujet des parties de chasse que seraient autorisés à faire les deux jeunes gens.
Aussi le général ne put-il pas rester longtemps à souffler par les narines, car Austin devait arriver le 10, avec Tom Meredith et un autre de ses amis, et Mr. Kindersley attendait de son maître les ordres précis au sujet des endroits qu'il faudrait battre. Le général regrettait qu'Austin et Tom ne puissent venir le 8 ou le 9, ce qui eût permis à Val de chasser avec eux. Mais Austin, semblait-il, ne pouvait se rendre libre avant le jour fixé pour le départ de Val. Après tout, ce dernier avait déjà chassé le perdreau pendant plusieurs jours ; d'ailleurs un garçon qui est encore à Cambridge ne doit pas s'attendre à faire toujours ce qu'il lui plaît.
III
Le départ fut une terrible affaire.
La famille devait effectuer le trajet en voiture et les domestiques en chemin de fer, avec les bagages. Debenham n'était qu'à quinze milles de Medhurst par la route et à vingt-six mille par la voie ferrée. Mrs. Bentham était partie dès la veille au soir, en personne indépendante et honorée pour faire sa visite annuelle à la femme de charge des Debenham.
Vers neuf heures, la wagonnette et le fourgon à bagages étaient devant le porche sud ; ce fut le signal d'une activité tumultueuse.
D'abord apparurent de grandes malles à couvercles bombés en formes d'arches, entremêlées de colis mystérieux, de boîtes à chapeaux, de porte-parapluies, de deux étuis à fusil et de trois ou quatre valises.
Puis, May, regardant par la fenêtre, vit Masterman, sévèrement vêtu de noir comme d'habitude et qui, avec des gestes multiples, donnait des ordres à deux hommes en tablier vert chargés de placer les paquets selon les rites, les uns dans le fourgon (jusqu'à ce qu'on pût prévoir, comme une chose imminente, que le gros cheval brun serait soulevé par la sangle et suspendu en l'air), les autres, devant le siège de la wagonnette. (May, en joli costume de voyage, observait, fascinée, ces préparatifs.)
Au même moment, la femme de chambre de May, qu'on eût prise pour une duchesse diaphane et travestie, entra, très agitée, en s'excusant d'avoir oublié d'emballer certaines paires de guêtres, qu'elle saisit et emporta.
Quand May se remit à la fenêtre, l'assemblée était devenue plus nombreuse. Mr. Simpson, le valet de chambre, en complet chocolat, pardessus noir, chapeau noir, canne noire à la main et semblable à un détective de théâtre, se tenait près de la wagonnette où devaient monter " les dames ". Mrs. Caunt, femme de chambre de lady Béatrice, s'apprêtait à le faire, pendant qu'un des hommes en tablier vert, tremblant sous le doigt dénonciateur de Masterman, faisait glisser en zigzag une malle du haut du fourgon sur le sommet du promontoire, déjà considérable, entassé devant le siège de la wagonnette. Puis Fergusson elle-même survint, portant quelque chose de plat (les guêtres probablement) dissimulé dans du papier...
- Dieu ! que c'est donc compliqué ! (Bonjour, maman) - que c'est donc compliqué, ce départ !
Lady Béatrice embrassa distraitement sa fille. Elle semblait impressionnée, elle aussi, par l'importance de l'événement.
- Caunt est partie, dit-elle. Et je ne peux pas trouver ma voilette à pois. Ne l'a-t-elle pas laissée ici ? Elle oublie toujours tout !
Et, après avoir promené un regard circulaire sur la chambre en désordre, elle repartit en claudiquant.
Mais le départ des bagages et des domestiques ne fut qu'une chose insignifiante et banale comparée au départ de la famille elle-même.
Le premier épisode eut lieu au breakfast, où les dames parurent en chapeau. Le général, vêtu de gris, avec des guêtres blanches, entra, porteur d'un manteau, d'une paire de jumelles dans leur étui à longue courroie et d'une petite boîte recouverte en cuir, qu'il dénommait son " coffret de voyage ". Nul n'ignorait que ce " coffret de voyage " devait toujours contenir une gourde de spiritueux, une timbale en corne, une brosse à cheveux et un peigne. Ce manteau et ces articles de voyage, Mr. Simpson les avait disposés avec soin sur la grande table du hall, où il était facile de les prendre en partant. Mais le général estima préférable de les apporter dans la salle à manger.
En les posant sur une chaise, près de la porte, il secoua sa tête grise d'un air sévère.
- Simpson devient négligent, dit-il. J'ai trouvé ces affaires-là sur la table du hall !
- C'est peut-être qu'il les y avait mises exprès, risqua May, non sans audace.
Le général secoua la tête de nouveau, en se dirigeant vers le dressoir.
- Probablement... Miss Deverell, puis-je vous donner un peu de volaille ?
Trois quarts d'heure après, on entendit des pas de chevaux et un bruit de roues ; et May qui, après avoir mis son manteau, jouait dans le hall avec le petit angora, alla regarder par la porte ouverte, au moment même où la voiture s'arrêtait devant les marches.
Déjà Masterman se trouvait là (par un prodige magique, évidemment, car moins de deux secondes auparavant, il allait et venait dans le hall) en conférence avec Mr. Watson, dont la majesté trônait sur le siège, derrière les deux grands chevaux noirs et lustrés aux harnais armoriés, qu'un groom tenait par la bride.
Puis, plusieurs autres personnages survinrent. James, le premier valet de pied, qui devait accompagner ses maîtres jusqu'à Debenham (sans doute pour tenir compagnie à Mr. Watson pendant le retour, car sa présence ne paraissait avoir d'utilité ni à l'une ni à l'autre extrémité du trajet), traversa précipitamment le hall, allant vers la bibliothèque, puis repassa en sens inverse, et cela deux fois de suite - moulé dans son habit bleu à longues basques. (La vitesse dont il alla, revint, retourna puis revint encore, révélait que le général avait dû sonner de façon un peu nerveuse.) En même temps, deux nouveaux figurants surgirent de derrière les bosquets qui masquaient l'écurie : un deuxième groom et un palefrenier, qui se tinrent à l'écart, observant de loin l'action.
Soudain une servante entra dans un état d'animation extrême.
- Pardon, Mademoiselle, Madame ne peut pas trouver sa voilette à pois !
- Dites à Madame qu'il y en a deux à moi au vestiaire, dans le tiroir de gauche.
- Bien, Mademoiselle.
Alors, miss Deverell apparut comme une ombre, car l'horloge des écuries sonnait l'heure fixée pour le départ. Elle était vêtue, gantée, voilée et chapeautée avec une précision vraiment extraordinaire.
- Ma chère, dit-elle à May, vous n'avez pas mis votre boa en fourrure.
- Il fait trop chaud ; d'ailleurs, il est dans la malle.
Miss Deverell cligna des yeux deux ou trois fois et s'assit sur le bord d'une chaise.
A ce moment, Masterman ayant consulté sa montre et s'étant assuré par un échange de regards avec Mr. Watson que l'heure signalée par l'horloge était la vraie, rentra et se dirigea vers la bibliothèque, de l'allure dégagée d'un homme qui dispose de prérogatives particulières. Il allait, à n'en pas douter, prévenir son maître qu'il était dix heures un quart.
Val, alors, parut à son tour en knickerbockers, les mains dans ses poches, avec l'intention bien marquée de se montrer respectueux et soumis. May se rappela qu'il serait reparti pour Cambridge quand elle reviendrait...
IV
Les sentiments de May à l'égard de Val étaient des plus variables. Elle avait été sincèrement et profondément choquée de sa conduite à Rome ; par contre, c'était mal de se battre en duel. De plus, elle faisait partie de
- Vous arriverez vers midi, n'est-ce pas ? dit Val, appuyé contre un sofa, les mains toujours dans ses poches.
- Oui, à la condition que papa ne continue pas à lambiner comme ça...
Masterman sortit de la bibliothèque avec la même agitation que James. Les préparatifs, bien qu'ils eussent duré deux jours, n'étaient évidemment pas terminés encore. Comme il disparaissait, lady Béatrice entra, dans un frou-frou de soie.
- Je crois qu'il n'est pas encore tout à fait prêt, dit May. Masterman et James ont l'air de chercher quelque chose.
Lady Béatrice ressortit aussitôt.
- Tu seras parti quand nous reviendrons, observa May après un silence, et ne trouvant rien d'autre à dire.
- Oui, répondit Val.
Il se dirigea, comme en flânant, vers la table où étaient les journaux illustrés, et se mit à regarder le Graphic, remettant ses mains dans ses poches chaque fois qu'il avait tourné une page.
Il y eut quelque chose de frappant dans la façon dont il rectifia instinctivement la position en voyant apparaître à la porte de la bibliothèque le général, harnaché comme pour une exploration et s'avançant d'un pas énergique et rapide. Il avait sur la tête un chapeau haut-de-forme gris, pareil à un gâteau ; par-dessus son complet gris, un manteau de voyage, gris aussi, mais plus foncé, barré de courroies ; sur ses bottines jaunes, des guêtres blanches ; dans l'une de ses mains gantées il tenait un étui rempli de parapluies et d'ustensiles divers, et dans l'autre son " coffret de voyage ". Il marchait vite, enveloppé d'une odeur de cheviotte neuve et d'une atmosphère solennelle.
- Allons, dépêche-toi, dépêche-toi, cria-t-il à sa fille ; nous sommes déjà en retard de dix minutes.
Alors, commença la dernière phase du départ, semblable à un raz de marée.
Lady Béatrice suivait son mari avec une prestesse surprenante, pendant qu'une femme de chambre, marchant presque à quatre pattes, lui tirait le bas de sa robe. Masterman réapparut du côté opposé à celui par où il avait disparu ; May se leva d'un bond et plongea dans le torrent, à côté de sa mère. James s'envola par une porte latérale, ses longues basques lui battant les jambes ; deux têtes de servantes émergèrent, inquisitrices, au-dessus de la balustrade de la galerie et Mrs. Markham, la femme de charge, vint assister au spectacle du haut d'un palier, les mains croisées sur l'estomac, comme sur le point de prendre part à un chant liturgique.
Enfin les voyageurs s'entassèrent dans le grand landau. Miss Deverell s'y trouvait déjà, assise, très droite, à sa place, dans le fond à gauche. Lady Béatrice prit place à côté d'elle ; May s'assit en face de sa mère et le général en face de miss Deverell. Masterman ferma la portière et James grimpa sur le siège.
- Au revoir, mon garçon, au revoir ! cria le général avec un signe de sa main gantée à Val qui avait suivi le flot et se tenait maintenant, nu-tête, sur une marche de l'escalier. Enfin, nous voilà prêts !
Lady Béatrice lui envoya un baiser. (Elle avait oublié de lui dire au revoir et en était un peu confuse - mais il avait fallu tant se presser !)
May lui fit un signe de tête en souriant.
- Au revoir, Val !
- Ça va bien, Masterman.
La voiture s'ébranla ; au contact du fouet qui doucement leur caressa les flancs, les chevaux tressaillirent, firent cliqueter leurs mors, et l'on démarra. Le deuxième groom et le palefrenier, n'étant pas " en tenue ", se cachèrent derrière les buissons ; des visages féminins se montrèrent aux fenêtres. Masterman s'inclina par deux fois.
Et c'est ainsi que
Lorsqu'on fut à mi-côte et que le général eut fini de chercher son étui à jumelles qui avait glissé derrière son omoplate, May jeta un regard vers le château.
Il était là, dans sa grandeur et sa magnificence, indescriptiblement beau, paraissant bien plus essentiel au paysage que les chênes et les hêtres qui l'entouraient de leur verdure. Les deux ailes se tendaient comme des bras accueillants ; les cheminées envoyaient vers le ciel clair et matinal d'octobre de longs écheveaux d'un gris délicat ; le corps central s'élevait, majestueux et dominateur, au-dessus de la large terrasse dallée et du grand perron. Et là, près de la porte surmontée de l'écusson, May aperçut la petite silhouette de quelqu'un vêtu de gris, en culotte et sans chapeau, qui les suivait encore des yeux. Masterman n'était plus là ; plus de visages aux fenêtres ; les alentours des buissons étaient déserts. Il ne restait plus que Val.
Elle regarda sa mère. Sa mère arrangeait une couverture sur ses genoux.
Elle regarda miss Deverell. Miss Deverell, les yeux clos, se disposait à sommeiller.
Elle regarda son père. Son père rajustait une de ses courroies.
Lorsque la voiture atteignit le haut de la colline, elle se retourna une dernière fois et vit la silhouette grise qui rentrait.
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