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CHAPITRE II
I
Le lendemain matin, en se réveillant, Val se sentit extraordinairement malheureux. Bien qu'il fût de très bonne heure, la clarté grise de l'aube envahissait déjà
L'orage s'amoncelait depuis plus d'un an, depuis qu'en pleine partie de football, à haute voix et devant tout le monde, Val avait été traité de " capon ". Bien entendu, il avait repoussé cette accusation avec véhémence, et, par la suite, fait taire toute critique par l'ardeur forcenée de son jeu. Pourtant, quelques mois plus tard, on y avait fait allusion un jour qu'avec une dignité et une modération extrêmes - à ce qu'il lui semblait - il s'était dérobé à un combat. Et maintenant, de nouveau, le problème se posait.
Le sentiment dont il avait eu conscience quand, après sa chute, il était remonté à cheval pour rentrer, était une haine furieuse contre Quentin ; ce n'était pas de la peur, il se l'était répété cent fois pendant le retour et pendant ses silences d'après le dîner : c'était bien de
Il prépara donc son esprit à résoudre la question. Il se mit sur le dos, éprouva une commotion de joie en sentant sa jambe gauche réellement un peu ankylosée, croisa ses mains derrière sa tête et ferma les yeux.
Il envisagea franchement les choses, dans la claire lumière mentale qui s'éveille avec l'aurore ; et il lui parut absurde, tout simplement, d'avoir pu suspecter un seul instant son propre courage. Tous les arguments, sans exception, s'opposaient à une conclusion semblable. D'abord, il montait Quentin depuis trois ans ; il avait fait plusieurs chutes, dont deux assez sérieuses ; une fois même, le cheval avait roulé sur lui. Et pourtant jamais il n'avait eu la plus petite hésitation à le monter de nouveau.
" Et le jour où tu n'as pas voulu sauter? " chuchota la voix intérieure.
Ah ! cette affaire du saut ? Mais voyons, c'était stupide! répliqua-t-il furieusement : Austin, montant un vieux cheval entraîné depuis des années à suivre les chiens dans les chasses à courre, avait défié Val, monté sur Quentin qui n'avait jamais franchi que des petites haies en pente, de sauter après lui une barrière en fer. Val, très calme, avait refusé. Et Austin, le soir, à dîner, ayant raconté l'histoire, s'était vu réprimander par son père pour avoir prétendu imposer à Quentin une chose pareille. - Oui, se disait Val à présent, j'ai eu parfaitement raison.
" Est-ce bien à cause du cheval que tu as refusé?
- Evidemment ! Allait-il risquer d'abîmer Quentin pour une bêtise pareille ?
- Eh bien ! et ta frousse à Eton ?
- Il n'avait pas eu la " frousse ". Il était resté dehors à se balancer pour pouvoir mieux prendre son élan. D'ailleurs, n'avait-on pas ensuite applaudi son courage ?
- Eh bien, arrivons au présent : vas-tu monter à cheval ce soir ?
- Je verrai, dit Val. Il ne monterait certainement pas si vraiment il s'était endommagé la cuisse. (Il la palpa délicatement.) Quel plaisir y avait-il à monter dans de mauvaises conditions ? Il ne monterait certainement pas pour le simple agrément de se démontrer à soi-même qu'il n'avait pas peur ! Ce serait reconnaître la possibilité du contraire... Non ; si les autres montaient et si sa cuisse allait tout à fait bien, et... et s'il n'avait pas autre chose à faire, il monterait, évidemment, comme d'habitude. De penser seulement qu'il pouvait avoir peur, c'était absurde. La chute de la veille ne signifiait rien du tout ; il avait été désarçonné - d'une façon un ridicule, à vrai dire - parce qu'il était distrait et ne s'attendait pas à cette ruade joyeuse du cheval qui sentait soudain un gazon ferme sous ses pieds. Mais voyons ! s'il avait eu peur, il l'eût laissé voir alors, n'est-ce pas ? il ne se fût pas sur-le-champ remis en selle !
- En es-tu sûr ?... en es-tu bien sûr ?
- Certainement ; absolument sûr ! Voilà qui était bien établi. Et maintenant, il allait dormir. "
II décroisa ses mains et se tourna sur le côté. Mais aussitôt, la voix recommença :
" Es-tu sûr... es-tu bien sûr que tu n'es pas poltron ?... "
Quand l'horloge des écuries sonna six heures, il se leva, très agité, en jetant les jambes hors du lit, entièrement oublieux de sa jambe endolorie (dont il se souvint tout à coup cinq minutes plus tard) et alla au petit salon chercher le Badminton (tome Equitation). Il le consulterait sans aucun parti-pris et se conformerait aux conseils de Badminton. Ainsi serait réglé, une fois pour toutes, le point de savoir s'il était froussard ou non. Si, étant donné les circonstances suivantes : un muscle froissé, un cheval fringant et un vague sentiment d'appréhension (tout à fait négligeable d'ailleurs), si, étant donné ces circonstances, le livre disait " Vous pouvez monter ", il monterait, le soir, avec ou sans les autres. Sinon, non. En prenant le Badminton (après avoir jeté un regard autour de la pièce qui, dans la froide lumière du matin, avait un air familier et insolite à la fois) il vit un autre livre sur l'Equitation qu'il emporta également. Et une demi-heure après, pleinement rassuré, il posa les deux livres sur sa table de nuit et se rendormit, paisible.
Car il y avait lu qu'une contusion même légère des muscles... inférieurs de la cuisse devait être soignée, sous peine d'amener de sérieuses complications, il avait laissé de côté comme tout à fait inapplicable à son cas une petite observation sur ce fait curieux qu'une chute, si elle se produisait assez lentement pour que le cavalier eût le temps de l'observer, l'impressionnait souvent bien plus qu'une chute vraiment dangereuse mais rapide. (Cela n'était que mentionné au bas d'une page, et n'avait, par conséquent, aucune importance.)
II
L'emploi de la journée se réglait pendant le breakfast (1), le plus souvent vers la fin, car alors tout le monde était réuni. Des lois subtiles régissaient l'ordre et les heures des arrivées successives. Lady Béatrice, ainsi qu'il convenait, descendait la première, et on pouvait la voir, cinq minutes avant l'appel du gong, flâner gracieusement sur la terrasse avec sa canne. (Cela s'appelait " faire courir Jimbo ", et se terminait d'ordinaire par la disparition de ce dernier, qui s'en allait par étapes vers les écuries, s'arrêtant à tous les saillants de la balustrade, des bornes et du perron, pour les flairer avec soin.) Après quoi, elle rentrait et faisait le thé dans une énorme théière en argent. Cinq minutes après, le Général arrivait en costume clair, tenant à la main
Ce matin-là, il descendit plus tard que d'ordinaire ; mais, comme il boitait très sensiblement, le Général, qui avait regardé la pendule - elle sonnait dix heures - crut devoir l'épargner et s'abstint de toute remarque. En outre, il avait autre chose à dire :
" Quels sont vos projets pour aujourd'hui ? demanda Lady Béatrice... Mais, tu boites, Val ! " Les explications minutieuses de Val se perdirent dans un entre-croisement de phrases dont la conclusion fut qu'on monterait à cheval après le goûter, car le matin il faisait trop chaud et l'après-midi les jeunes filles avaient affaire au village.
" Voici... commença le Général.
- Je ne crois pas que je monterai à cheval, maman, dit Val en mangeant gravement de l'omelette ; je me suis contusionné pour de bon.
- Est-ce grave ? demanda son père.
- Veux-tu voir le médecin ? dit sa mère.
- Non, rien de grave ; un peu douloureux, c'est tout. Merci ; pas besoin du médecin - à moins que...
- Voici, recommença le Général. Mais il fut encore interrompu.
" Les médecins, hasarda May, prétendent que dans ces cas-là il faut recommencer tout de suite à monter à cheval.
- Je te remercie, rétorqua Val avec une aigreur réellement disproportionnée. J'aime mieux pas. "
Le Général frappa la table avec une lettre ouverte qu'il tenait à
" Allons ! écoutez-moi, les garçons ! J'ai reçu une invitation pour vous. Et je crois que vous devriez l'accepter. (Val, il faut guérir ta jambe.) Les Meredith vous invitent à passer quinze jours en Suisse. "
Austin leva la tête.
" Pour quand, papa ?
- Pour le 1er septembre. Vous serez de retour juste à temps pour la rentrée de Val à Eton. Hein ?
- On fera des ascensions ? " Le Général fit un signe affirmatif. " Justement. Je veux que vous appreniez, tous les deux. Vous avez tout le temps nécessaire pour préparer ce qu'il vous faut. "
Les jeunes filles poussèrent des exclamations d'envie. May résolut de parler à sa mère plus tard.
" J'avais un oncle, dit tranquillement Gertie, qui s'est tué en Suisse. Il est tombé...
- Voyons, Gertie, interrompit May, ne dites pas des choses pareilles !
- Mais c'est la vérité ! Il est tombé de deux mille pieds de haut.
- Est-ce qu'on a retrouvé son corps ?
- On a retrouvé... ce qui en restait. "
Val, en dépit des arguments et des assurances qu'il s'était prodigués dans sa chambre, éprouvait une étrange sensation de soulagement. Le 1er septembre, c'était dans une semaine et, selon toute probabilité, sa jambe endolorie continuerait jusque-là d'être endolorie. D'ailleurs, même dans le cas contraire, il n'aurait pu, sans imprudence, la surmener à la veille d'un départ pour
Austin demandait des détails avec cette pondération et cet air désabusé que croient devoir prendre les jeunes gens de dix-neuf ans quand ils se sentent supérieurs. Il apprit que l'endroit choisi était le Riffel ; que les " Meredith ", cela signifiait un père, une mère et un fils ; et que ce fils, âgé de vingt-deux ans, était déjà candidat au Club Alpin.
Val écoutait. Tout cela lui apparaissait comme fort agréable et il jugeait, en quelque sorte, très opportun qu'un nouveau sport vînt s'offrir à lui au moment précis où il commençait à être las du cheval. Il ne savait rien de l'Alpinisme, à part ce que lui en avait appris la bibliothèque du fumoir, mais ne doutait pas qu'il s'en tirerait honorablement. Il se dit même qu'il arriverait peut-être à égaler son frère, envers lequel, ce matin, il ne se sentait pas très bien disposé.
Le Général se leva.
" II faudra vous occuper des chaussures et des vêtements, dit-il à sa femme. Moi, je vais écrire pour commander les autres objets.
- Quels objets, papa ? Des piolets et des cordes ? demanda Val avec animation.
- Oui ; surtout des piolets. "
Quand Austin monta, dix minutes après, pour consulter le Badminton, il fut agacé de trouver Val déjà installé dans le meilleur fauteuil, ce livre sur les genoux. Il feignit de ne pas s'en apercevoir et de chercher quelque chose dans les casiers, en sifflotant d'une façon que Val jugeait particulièrement énervante ; puis, il se mit à retourner des livres qui étaient sur la table.
" Tu cherches quelque chose ? demanda enfin Val impatienté.
- Oui, le Badminton... Ah ! c'est toi qui l'as !
- Tu ne t'en es pas aperçu en entrant ?
- Eh bien ! quand tu n'en auras plus du tout besoin, dit Austin d'une voix pointue et en négligeant de répondre à cette question acerbe, peut-être voudras-tu bien me le donner. Il se trouve que ce livre m'appartient.
- Pas du tout !
- Si. "
Val, d'un air indulgent, comme s'il taquinait un enfant, examina la page de garde ; Austin sourit d'un air sarcastique. Val changea de visage. Il se leva brusquement et jeta le volume sur la table.
" Le voilà, ton livre, dit-il avec une ironie compassée. J'ignorais qu'il fût à toi. Je te demande pardon de l'avoir pris.
- Oh ! tu peux le garder si tu en as besoin, dit Austin, d'une voix de plus en plus pointue... Seulement...
- Pour rien au monde je ne voudrais t'en priver, dit Val, les traits altérés par la colère.
Je... je vais aller m'asseoir dans le fumoir. Je ne veux pas te déranger. "
II gagna la porte à grandes enjambées rapides.
" Ta jambe semble aller mieux, remarqua Austin, toujours calme en apparence. "
Val lui lança un regard venimeux.
" Mon pauvre vieux, lui dit-il, à ma place tu serais dans ton lit, à hurler ! "
Austin composa, avec une réussite absolue, un sourire affable et indulgent. La bouche de Val proféra un son qu'on peut transcrire ainsi : " Pfff ! " Et la porte se referma.
III
C'était décidément une mauvaise journée pour Val. Les garçons de seize ans en ont ainsi parfois, surtout quand leurs centres nerveux sont un peu trop tendus ; la moindre chose suffit alors pour les bouleverser.
Il était tellement en colère qu'il se sentait complètement et définitivement rassuré quant à son courage. Il lui semblait extraordinaire d'avoir pu même le mettre en doute et, vers midi, il était presque décidé à monter à cheval. Mais il réfléchit que cela ne se pouvait pas, puisque c'était un fait concédé de tous (pour parler comme les théologiens) inclus lui-même, que la seule raison qu'il eût de ne pas monter était son muscle malade.
Il passa la matinée dans un état morbide, comme c'était son habitude dans ces cas-là. Il prit une canne à béquille, ainsi que l'exigeait l'état de sa jambe, et s'en fut boitant - même alors qu'il n'était plus en vue des fenêtres - à travers le jardin, vers les bois. Là, il s'assit.
C'était une de ces journées d'août, étouffantes, accablantes, où l'été semble devoir être éternel et définitif. Pas un seul être visible ou vivant qui n'eût atteint son suprême degré de tension. Au-dessus de la tête de Val s'élevaient des hêtres géants, s'épandait tout un monde de verdure, laissant voir çà et là un petit morceau de ciel bleu et brûlant. Autour de lui, dans les taillis, chaque frondaison, chaque nervure était gonflée à éclater ; à ses pieds s'étendait une mousse pelucheuse et touffue. Perdu dans la tour immobile du feuillage, un pigeon des bois méditait tout haut, s'interrompant parfois, comme brusquement surpris, au début d'une phrase. Et l'essence et la signification de tout flottait dans l'air chaud de l'été, embaumé, transparent, pétillant d'une myriade d'existences, vibrant de bourdonnements innombrables comme une pédale qui résonne.
Val possédait cette vive imagination - inséparable des natures comme la sienne - qui ne se lasse jamais de créer ; et, dans ce royaume, bercé par le parfait équilibre de sa vie intérieure et de la vie qui l'entourait, couché sur ce banc de gazon ainsi que sur un lit, les mains croisées derrière sa tète, selon son habitude, il se mit à combiner la défaite de son frère. Ses matériaux, pour ainsi dire, consistaient en deux éléments : la supériorité d'Austin et
C'était là le point sur lequel il avait résolu qu'Austin devrait s'avouer vaincu. (Il se rappelait avec satisfaction que son frère, une fois, s'était refusé - il y avait dix ans - à le suivre sur le mur de l'écurie.)
Très bien. Donc, voilà qui était décidé.
Et il commença la construction du scénario.
Les premières scènes étaient presque trop vengeresses. Elles se déroulaient en cours d'une excursion et représentaient Austin comme un personnage tout petit, contemplant d'en bas son frère qui s'élevait rapidement au-dessus d'un précipice insondable ; puis on voyait Austin, les mains tremblantes, hissé par une corde, pendant que lui, Valentin, se tenait debout, imperturbable et dégagé, l'observant du haut d'un sommet ; puis encore Austin effondré, inerte de terreur, sur un rebord inaccessible, implorant des yeux un secours, et lui, assis à califourchon sur une crête dans une attitude napoléonienne. La dernière scène se passait dans la salle à manger de l'hôtel où les gens se levaient en poussant des acclamations au moment où Valentin, le visage calme et grave, entrait, encore tout équipé, après avoir conquis un pic inexploré jusqu'alors.
Mais petit à petit, il devint plus généreux. Austin ne serait pas réduit à toute extrémité ; il resterait simplement médiocre, tandis que des hommes barbus, hâlés par le soleil et le grand air, parleraient de son brillant jeune frère qui avait balayé tous les obstacles. La scène finale lui mit les larmes aux yeux et lui serra la gorge ; c'était une explication entre les deux frères : Austin, enfin respectueux et humble, lui saisirait la main et lui avouerait qu'il ne l'avait jamais compris ni apprécié à sa juste valeur ; tandis que lui, magnanime et conciliant, rappellerait à l'autre qu'au tennis, au cheval, à l'escrime - à tous les sports virils - Austin lui était indiscutablement supérieur. (Gertie Marjoribanks, décida-t-il entre parenthèses, serait présente à cet entretien.)
Val n'était point un sot. Mais il avait des nerfs, qu'on s'en souvienne bien, et de l'imagination ; et il touchait à ses dix-sept ans.
IV
A déjeuner, il fut silencieux ; mais il ne donnait plus de signes d'irritation. C'était plutôt un silence bienveillant et gros de pensées, comme enchanté par des rêves. Car ceux qui vivent surtout par l'imagination, qui créent plutôt qu'ils ne reçoivent, sont aussi aptes à reprendre de l'assurance qu'ils sont enclins à l'appréhension et au découragement. Il s'était maintenant reconstruit un monde et considérait tout, même Austin, avec sympathie.
Sa bonne humeur se manifesta par des paroles quand il entra dans le fumoir où Austin tournait autour du billard en cognant les billes les unes contre les autres.
" Je te fais cinquante points, lui dit-il. "
Austin accepta.
Vers la fin de la partie, qu'Austin gagna, bien que serré de très près par Val, ils avaient recommencé à causer librement ; ils parlaient de
" Tu me diras quand tu n'auras plus besoin du Badminton, dit Val ; et, à propos, tu sais, j'ai été très ennuyé de l'affaire de ce matin, mais vraiment je ne savais pas que ce livre était à toi ; sans quoi je t'aurais demandé si...
- Bien, bien, murmura Austin, touché, en dépit de sa dignité. Tu pourras le garder toute la journée. "
Val prit sa canne, se traîna jusqu'à une chaise longue et s'y accroupit.
" Merci beaucoup. Je tiens à me faire une idée de tout ça. Tom Meredith est un vrai professionnel, je crois... Dis donc, penses-tu que nous ferons le Matterhorn ?
- Le Matterhorn ? Grands dieux, non !
- Pourquoi pas ? Il paraît que même les dames peuvent le faire. "
II y eut une pause, pendant qu'Austin jouait soigneusement un coup - qu'il manqua.
" Je monte, dit-il. Si tu veux, je te redescendrai le livre, puisque tu es éclopé.
- Très bien. Merci beaucoup.
On servit le thé dans le jardin, sous un cèdre et, à cinq heures dix, on n'avait pas encore vu le moindre Val. Austin l'appela deux ou trois fois en criant sous les fenêtres. L'autre parut enfin ; il arrivait en lisant, sa canne sous le bras. Il pensa toutefois à s'en servir pour descendre les marches du perron.
La conversation fut extrêmement gaie. Val tantôt s'y mêlait, tantôt demeurait silencieux, souriant et les yeux animés. Ces trois heures de lecture avaient vivifié son imagination. Déjà il parlait couramment d'arêtes, de cheminées, de couloirs. May témoignait un intérêt plein d'envie et poussait des soupirs ; elle avait " entrepris " sa mère, mais sans résultat ; tout ce qu'elle avait pu obtenir était que si les Marjoribanks l'invitaient l'année suivante et si rien ne s'y opposait, peut-être lui permettrait-on d'accepter. Entre temps, elle devait se rappeler qu'il était tout naturel que les garçons fissent certaines choses interdites aux jeunes filles.
Val, s'appuyant sur sa canne non sans quelque ostentation, assista, avec un sourire mélancolique, au départ des cavaliers. Même, il posa sa canne un instant pour aider Gertie à monter ; elle avait spécialement demandé qu'on lui donnât Quentin. Il resta à observer les cabrioles habituelles des chevaux au moment où ils foulaient le gazon au delà de l'allée ; il les suivit du regard pendant qu'ils disparaissaient un à un derrière la ligne d'horizon, dans un nuage de brins d'herbe envolés. Il admira l'extrême aisance avec laquelle Gertie montait son cheval ; puis il retourna au Badminton.
(1) Le petit déjeuner, en Angleterre, est un repas consistant. On y mange des oufs, du poisson grillé ou fume, de la volaille, de la viande froide, des confitures, etc. Ces mets sont posés sur des dressoirs où chacun va se servir soi-même et dépose son assiette quand il a fini. Aucun domestique ne paraît au breakfast. Les convives arrivent quand il leur plaît et quittent la table de même. Nul protocole.
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