Robert de Montesquiou

Le Chancelier de Fleurs

DOUZE STATIONS D'AMITIE



XI

 

CHAPITRE ONZIEME

 

LIBATIONS ET NÉNIES


 

Amissas flemus amicitias.

 

J'ai répondu

 

à MONSIEUR PAUL ACKER :

 

Cher Monsieur,

 

L'émotion que vous cause la mort de mon admirable ami, correspond aux sentiments que vous lui inspiriez. Comment ne vous aurait-il pas apprécié ? - Seuls, comptaient pour lui, ceux qui me rendaient un peu de justice ; et vous vous êtes montré de ceux-là, avec continuité, avec courtoisie, avec esprit et avec cœur.

Le souvenir de ce qu'un tel procédé a donné de joie à Celui qui n'est plus m'attache, croyez-le bien, à vos intérêts et à votre personne; et j'aime à vous le redire ici, cher Monsieur, en même temps que mes remerciements, pour votre visitation compatissante et précieuse.

 

à MONSIEUR ARSENE ALEXANDRE

 

Cher Monsieur,

 

Le sens du noble malheur est bien celui que vous dites : éprouver nos vraies forces, nous faire verser nos meilleures larmes, et faire rendre à notre cœur spiritualisé, ensemble victorieux et vaincu, ses plaintes les plus harmonieuses.

Merci pour votre commisération bien inspirée.

Mon admirable compagnon qui avait au plus haut degré le sens du vrai des natures, vous appréciait sincèrement et s'était réjoui de la cessation, entre nous, d'un malentendu initial.

Cette pensée, ajoutera, désormais, encore, à mes personnels sentiments qui, vous le savez, cher Monsieur, sont affectueux et loyaux.

 

 

à MADAME D'ANNUNZIO :

 

Chère Madame,

 

L'an dernier, à pareille époque, vos douceurs m'étaient parvenues avec celle, douce, entre toutes, de vous être souvenue qu'elles pouvaient nuire à mon pauvre ami.

A présent, rien ne saurait plus lui nuire que de me savoir oublié, ou moins aimé.

Aussi, vous êtes de ceux, émus, élus, qui songent à moi dans mon chagrin pour m'en atténuer l'amertume.

Merci donc, en mon nom et au nom d'une Ombre

 

A MAURICE BAGES  :

 

Cher Bagès,

 

votre voix charmait mon pauvre ami.

Je penserai à lui quand vous chanterez.

Et je serai désormais deux à vous écouter quand  j'aurai le bonheur de vous entendre.

 

à MADAME MAURICE BARRES  :

 

Chère Madame,

 

Madame de Martel m'a écrit que vous lui disiez, parlant, alors, de mon pauvre malade : " Je le voyais sur le balcon ; et puis, je ne le vois plus. " Et Barrès, lui, a vu jaunir et trembler, sur l'aube de son départ, la flamme des cierges funèbres.

Toute ma volonté reste prise entre ces deux visions, qui bornent mes jours. Je ne puis m'en distraire, même dans le but de répondre à ceux qui, comme vous, Madame, ont trouvé, pour ces premiers et fragiles instants du deuil vrai, des mots qui, non seulement ne brisent pas, mais qui fortifient.

Excusez moi donc, je vous en prie, de vous remercier tardivement, pour votre noble lettre dont tous les termes m'ont cependant touché.

Chaque fois que j'ai voulu y répondre - vingt fois - je l'ai reçue et relue, et je vous en ai su gré.

Au non de cela, vous me pardonnerez.

Ou ne goûte probablement qu'une fois dans sa vie un chagrin parfait. Tel est le mien. Je le possède et il me possède. Et c'est chacune des actions de mon existence qui commence désormais par ces mots : " Sois sage, ô ma Douleur ! "

Votre affligé et allectionué.

 

à HENRY BATAILLE :

 

J'aimerais à me persuader que l'influence de mon cher disparu fut notre collaboratrice, en la circonstance que vous savez. Mais son esprit m'a paru fuir, avec la rapidité d'une flèche, laquelle serait empennée d'une des plumes de l'Ange " qui veille aux destinées de l'Amérique ", selon l'expression de Chateaubriand.

Swedenborg a vu le paradis des Hollandais et celui des Belges ; et le paradis de mon pauvre Américain me semble devoir ètre bien distant, hélas !

Et cependant, cela, je le sais, un tel paradis ne lui serait qu'un enfer, s'il n'y savait rien de l'ami pour lequel on ne saurait l'imaginer que brûlant, et sauvant une flamme dans ce qui lui reste de cœur!

J'ai été heureux de ma soirée auprès de vous, mystérieuse peut-être plus encore qu'on ne l'aurait dit, et au-dessus de laquelle planait une Ombre, retenue de se manifester, pour ne pas déchirer l'Invisible par une lumière et par un cri.

 

 

à MONSIEUR BERNHARD BERENSON :

 

Cher Maître et Ami,

 

Croyez bien que j'ai été extrêmement, infiniment touché par le rapide et spontané témoignage de votre sympathie.

Mais des réflexions, si longues et si aiguës soient-elles, ne sauraient, je m'en aperçois, préparer à un tel malheur, qui me laisserait sans forces, si je ne pensais que m'y abandonner serait désobéir à Celui qui a donné sa vie pour ce qu'il appelait ma gloire.

Vous revoir me sera toujours agréable ; et davantage encore depuis que vous avez mis, pour moi, de votre cœur dans votre esprit.

 

 

à MONSIEUR EMILE BERR :

 

Cher Monsieur et Ami,

 

Vous excusez mon silence, parce que vous l'entendez.

Quand il vient de ce qu'on a connu vibrant, il s'exprime alors comme voix muette. - Il dit vrai.

Ma vie, par cette perte, a perdu de sa beauté, de son but, de sa lumière, et de son ardeur. Mais il lui reste, je l'espère, assez de vertu et assez de force pour n'en achever qu'avec plus de volonté, une œuvre qui fut aussi l'œuvre de l'absent, par la continuité du dévouement qui l'a consumé pour elle.

 

 

à ALBERT BESNARD :

 

Cher Maître et Ami,

 

J'ai été heureux de pouvoir formuler au moins quelques-uns de mes sentiments pour votre art, à l'occasion de votre belle exposition. J'aurais voulu faire mieux, ainsi que je l'ai écrit alors à quelqu'un qui vous est cher.

Mais je gravissais, à ce moment-là, mon grand Calvaire d'Amitié, qui s'est, comme tous les Calvaires, achevé sur la Croix de la désolation et de l'isolement. C'est alors que je me suis souvenu de votre interprétation du grand Drame et qu'elle m'a apporté, du fond de l'Invisible, sa consolation fortement divine et tendrement humaine.

Merci de la compassion que vous y avez jointe, comme la signature personnelle et comme la dédicace amicale de ce que votre œuvre a magnifiquement écrit pour tous les souffrants.

 

 

au DOCTEUR BLONDEL :

 

Je ne veux rien entreprendre qui ressemble à un plaisir, avant d'avoir assuré: le repos à une précieuse dépouille, plus présente, pour moi, que tout ce qui reste des absents, et plus vivante que tout ce qui reste de la vie !

 

 

à la PRINCESSE DE BRANCOVAN :

 

Chère Amie,

 

Vous vous êtes toujours montrée affable et bonne pour Celui qui n'est plus.

Quand il vivait, cette pensée augmentait mon attachement pour vous.

Que sera-ce, aujourd'hui que ma meilleure, pour ne pas dire ma seule joie, est d'aimer dans le passé, et d'honorer dans l'avenir, tout ce qui lui fut bienveillant et doux ?

Votre affligé et affectionné.

 

à la COMTESSE DE BRIEY (née LUDRE) :

 

Chère Amie,

 

Je suis resté si anéanti que je n'ai pu répondre; mais je n'en ai pas moins été vivement sensible aux bonnes paroles, aux belles pensées, qui ont vibré autour de moi, durant ces tristes jours, comme les abeilles de la douleur. Merci, à vous deux, pour ce miel d'amitié.

Vous me permettrez de vous offrir, en échange, un souvenir choisi parmi ceux que laisse l'absent éternel.

Vous vous êtes toujours montrée bien affectueuse pour lui. Et ce placement-là se thésaurisera dans mon cœur.

 

à CAPPIELLO :

 

Mon cher Ami,

 

Vous interpréterez mon silence. Autrefois, je savais parler. Je ne sais plus que pleurer. Et cependant je veux me reprendre, pour ne pas chagriner l'Ombre de Celui qui me voulait fort.

Tous deux, il vous appréciait ; et vous l' aimiez.

Cet échange et ce souvenir ajoutent encore à mon personnel attachement pour vos sympathiques personnes ; et le nom de ceux qui ont pris part à sa dernière fête, douloureuse et douce, ne résonnera jamais dans mon esprit, sans parvenir jusqu'à mon cœur.

 

à la PRINCESSE ALEXANDRE DE CARAMAN-CHIMAY :

 

Chère Cousine,

 

Merci.

Je pense qu'il y a du voile de Véronique dans ces feuillets où de nos amis prennent un peu du visage de notre Douleur. La mienne vous salue avec affliction, avec affection.

 

au DUC DE CIRELLA :

 

Mon cher Ami,

 

J'ai été très touché par la visible et sensible sincérité de votre condoléance. Rien ne saurait m'attacher davantage à ceux que j'aimais déjà - et vous savez l'intérêt que je porte, depuis longtemps, à tout ce qui vous regarde.

Donc, merci encore, avec, entre nous, pour le présent et pour le futur, le souvenir de Celui qui vous appréciait, et dont vous faites dignement l'éloge.

Votre affectionné et bien attristé.

 

à FRANÇOIS COPPEE :

 

Cher Maître et Ami,

 

Croyez que j'ai été extrêmement sensible à votre pieuse compassion, dans mon désastre d'amitié.

Si je ne vous en ai pas remercié plus tôt, c'est que je reprends tout juste, après ce rude assaut, l'usage de mes pensées et de mes sentiments.

Votre fidèlement affectionné.

 

à MADAME ALPHONSE DAUDET  :

 

Chère Madame,

 

Je vous dois deux réponses, une pour la joie, une pour la tristesse.

Merci de ce que vous m'avez écrit pour mon livre ; merci de ce que vous m'avez écrit pour mes larmes.

Vous vous êtes toujours montrée bien aimable pour mon pauvre ami, je m'en souviens avec gratitude.

Un jour, le comprenant mieux, grâce à moi, la gratitude viendra de vous, pour celui qui vous aura fait connaître cette personne incomparable.

En attendant, merci encore, de votre affligé et affectionné.

P. S. - Moi-même je vous reparlerai de votre volume ; mais c'est à peine si je recommence à vivre... j'allais dire : à mourir !

 

 

à MADAME Paul ESCUDIER :

 

Merci, Chère Madame. Cette fois encore, vous avez été des premières à me parler de mon deuil, qui, cette fois, est le deuil.

Mes dernières bonnes heures ont été chez vous.

En reparler me fera croire qu'elles peuvent revenir. Et ce sera tristement impossible.

 

 

à MONSIEUR JEAN D'ESTOURNELLES :

 

Cher Monsieur,

 

Qne puis-je ajouter à ce que vous avez vu ?

Vous avez vu la Mort sachant rester courtoise et gracieuse, élégante et belle.

Et cela était ainsi jusqu'au fond de son cœur.

L'infinie douleur de perdre ceux que nous aimons le mieux, n'est rien auprès de cette pensée de ce qu'a pu leur coûter la consommation de leur sacrifice. Leur faiblesse les aide-t-elle plus alors que ne le fait notre force ?

Que puis-je ajouter à de tels souvenirs, si ce n'est mon remerciement de les avoir compris, d'y avoir compati ?

 

à MONSIEUR FERRARI :

 

Cher Monsieur,

 

Merci de m'avoir aidé à faire rendre justice et hommage à Celui qui le méritait, et dont tant de témoignages qui m'arrivent, célèbrent le caractère et le dévouement.

Il appréciait fort votre bonne grâce et votre distinction courtoise.

Il a suivi de près la pauvre Marquise de Casa-Fuerte, et je puis leur appliquer, à tous deux, ces vers du poète :

" J'ai déjà tant d'âmes aimées

Sous le lugubre vêtement ".

 

Merci ; tristement à vous.

 

 

à MADEMOISELLE FEURGARD :

 

Chère Mademoiselle,

 

Hello a parlé du mystère des rencontres.

De votre rencontre avec Celui qui n'est plus, résulte une œuvre qui durera.

C'en est une preuve de plus, devant laquelle il faut s'incliner, en priant, en pleurant.

 

 

A ALBERT FLAMENT :

 

Vous m'avez écrit une lettre charmante, de celles qui font prédominer, par dessus le timbre de l'esprit, le battement du cœur.

Vous êtes de ceux qui continuent, et continueront d'exister pour moi, parce qu'ils ont été mêlés à la vie et à la mort de l'unique ami. Je serai heureux de vous voir.

 

+°+

 

Cher Ami,

 

Venir à ceux qui souffrent, c'est déjà un acte noble. Revenir vers eux requiert une sorte d'héroïsme qui n'est, que de quelques-uns. il y faut presque l'obsédant souvenir d'une douleur exceptionnelle. La mienne est cela. Mais je suis loin de m'attribuer uniquement la gloire de la composer toute pour ceux qui se la rappellent. L'image et la mémoire de Celui qui en est l'objet sont de celles que l'absence et le silence accroissent, parce qu'il est anormal de les voir se substituer, l'une, à la présence palpitante, l'autre, à la vibration multipliée.

Vous m'avez écrit des choses dont il est consolant qu'elles soient au moins imaginées. Au reste, je ne vous démens pas. Il n'est que naturel qu'une appréciation, toujours plus consciente, de ce qui fut goûté lentement, serve de contre-partie à la fonte des apothéoses indues.

Après l'intense article de Bataille, la fine étude de Marcel ne me contredit pas ; le passé qui devient, à chaque instant, l'avenir, se charge de le réaliser plus pleinement.

Ce qui est plus difficile à rencontrer, c'est l'assistance assidue et cordiale d'un esprit volontairement affermé, inféodé au présent et au futur de nos œuvres. Il n'y a pourtant pas de sécurité sans cela, surtout quand il s'agit de publications posthumes.

Je l'avais, je l'ai perdu, je le pleure. Mais croyant à un ordre invisible, je m'incline, je me soumets, je poursuis.

 

+°+

 

Cher Ami,

 

Merci de votre mot bien affectueux.

Si vous avez pris du plaisir, croyez bien que vous m'avez rendu service. J'étais venu pour m'enivrer de tristesse et, certes, je n'aurais pas voulu m'en distraire pour tel ou tel. Mais votre compréhensive présence m'a aidé à jeter un meilleur regard sur ces choses désolées.

Je pars demain et je rentre à Paris directement.

Mais tous mes soins vont être pris par la Maison des Morts.

Quand elle sera prête, je vous préviendrai ; nous irons ensemble visiter Celui dont la cordialité fut si vibrante, que même son silence nous sera sensible, et que son absence nous accueillera.

 

 

à ANTONIO DE LA GANDARA :

 

Cher Gandara,

 

Votre lettre me touche d'autant plus que vous m'aviez déjà exprimé, de vive voix, votre condoléance.

Ce m'est une preuve nouvelle de l'insistance avec laquelle cette absence s'accentue dans les âmes qui surent comprendre et apprécier. Et cet bommnage, rendu à notre ami, est la seule chose qui puisse m'être agréable désormais.

Votre attitude, durant ces avant-derniers jours, ces dernières heures, m'a prouvé, une fois encore, que vous étiez de ceux-là.

Elle affermira notre amitié en ajoutant des soupirs à des souvenirs.

 

 

au COMTE ARNAUD DE GRA.MONT :

 

Mon cher Ami,

 

Je m'indigne toujours contre cette locution et l'interdiction qu'elle représente : " On est prié de n'envoyer ni fleurs, ni couronnes. "

Ce siècle finira par écrire : " On est prié de ne plus adresser de condoléances. "            Et finalement : " On est prié de ne plus pleurer. "

Nos larmes n'en resteront, pas moins la consolation de nos chagrins, et nos vrais amis, ceux qui nous plaignent de les verser.

Merci de vous montrer, pour moi, de ceux-là.

 

 

à la COMTESSE DE GUERNE :

 

Chère Comtesse,

 

Mon pauvre ami aimait vous entendre, et reconnaît votre voix, parmi les célestes harmonies qu'il écoute aujourd'hui, dans le lieu où il reçoit la récompense de son dévouement, par moi, pleuré, et chanté à jamais. Merci à vous, et à Henry, pour votre précieuse sympathie.

 

 

à la DUCHESSE DE GUICHE :

 

Chère Elaine,

 

Ce matin, je vous reconnaissais mal, sous votre sombre voile, douloureux sur votre jeunesse !

J'en entendais sortir des murmures de compassion pour ma propre peine, qui m'effeuraient sans vous révéler.

Soyez-en remerciée.

Ils représentent, avec tout, ce qui me vient d'affectueux dans mon chagrin parfait, le lien qui me rattache désormais à ce qui survit, pour moi, de sentiment et de pensée.

 

 

à MONSIEUR REYNALDO HAHN  :

 

Cher Monsieur,

 

J'aurais été étonné de ne pas vous voir venir à moi dans ces cruels jours, et j'en aurais été peiné, puisque les noms qui signent, à cette heure, bien des témoignages élogieux et touchants, à l'honneur de mon pauvre ami, représentent le groupe élu qui continuera d'exister pour moi, tout le temps que j'achèverai de mourir.

C'est dire que j'ai été heureux d'y lire les noms d'aimables personnes de votre famille, qui se sont souvenues d'une heure harmonieuse, grâce à vous, au cours de laquelle la chaleureuse bonne grâce de Celui que je regrette s'était, une fois de plus, fait admirer et aimer.

 

à PAUL HELLEU :

 

Cher Ami,

 

Je suis si triste que je ne puis ni écrire, ni parler ; à peine vivre.

Mon pauvre Yturri vous admirait, vous aimait, et vos causeries du matin furent des derniers plaisirs de sa vie.

Quant à votre dernière visite, elle fut poignante, vous en souvenez-vous ? C'est alors qu'il vous a dit, me croyant occupé ailleurs : " Regardez-moi bien, Helleu, je n'en reviendrai pas. "

Ces paroles resteront sans fin dans mon cœur et le déchireront à jamais. J'ai perdu un ami comme il n'y en a pas. - Je le pleurerai toujours.

 

 

à GEORGES HOENTSCHELL :

 

Hélas ! non, cher Ami, pas d'illusions ! De minute en minute j'attends le dénouement sinistre. Et quand c'est la fin d'un tel être, le cœur est brisé. Merci pour lui, merci pour moi, merci de l'ange (1)  qu'il ne peut plus voir, mais qui lui ouvre la porte du Ciel.

 

+°+

 

Mon cher Ami,

 

En effet, l'heure de nous voir avait toujours été agréable. Elle est devenue sensible, et comme nécessaire.

Ce changement doit avoir des causes profondes et mystérieuses. Notre devoir, comme notre plaisir, n'est-il pas de nous y abandonner ?

On petit le supposer, (pourquoi pas, puisque c'est consolant ?) ceux que nous pleurons se seront peut-être aussi rencontrés dans I'Au-Delà ; et leurs attendrissements sur nous, leurs pitiés, ont des échos et des reflets qui se prolongent dans nos cœurs.

Hélas ! demain m'apprête encore de cruels moments (2). Il va me falloir apprendre à perdre, une seconde fois, le compagnon à tout jamais regretté, revivre des heures d'angoisse, ou plutôt, remourir !

Vous serez heureux de savoir que je vais sans doute obtenir la statue, et que la volonté de la matière et des circonstances s'est mise d'accord avec moi, pour orner et pour honorer du Symbole qu'il fallait, cette demeure du Silence.

Hélas ! mon bon ami, je n'ai encore trouvé qu'un remède à des maux comme les nôtres dont la consolation est d'être inconsolables, et qui sont causés par la disparition d'irremplaçables êtres, c'est de nous conformer de notre mieux (et avec application dans ce sentiment) à ce que, s'ils avaient été là, ils auraient voulu, pour nous, et souhaité, de nous, dans leur haute compréhension de notre avantage, et leur délicat sentiment de notre bonheur.

Voilà mon remède. Je vous le donne. Ce sont de ces choses qu'on peut donner sans les perdre, tout comme l'amitié que je vous offre ici.

 

 

à MONSIEUR EMILE HOVELACQUE :

 

Cher Monsieur et Ami,

 

Je tiens à vous redire merci pour l'expression écrite, parlée et sentie de votre condoléance. Elle m'a été de grand réconfort. Je vous salue avec affliction.

 

 

au DOCTEUR HUGENSCHMIDT :

 

Cher Ami,

 

Merci.

Vous devinez mon chagrin.

L'avoir longuement pressenti ne l'atténue pas. En parler avec vous l'adoucira.

 

 

à GUSTAVE JACQUET :

 

Cher Ami,

 

J'ai souvent pensé à ce que vous m'aviez dit de ces rubans, auxquels ne pouvait se réhabituer votre deuil de Celle qui les portait ; ces rubans dont la vue s'obstinait à vous serrer le cœur.

Le même cruel traitement m'est infligé par beaucoup d'objets familiers à une amitié restée jeune, en dépit d'un âge de quatre lustres.

Tous, nous cheminons par nos routes de souffrances, toutes diverses, toutes similaires. C'est une consolation que de se tendre la main, d'un parcours à l'autre de ces voies douloureuses. - N'est-ce pas ?

 

 

à MADAME JEANNIOT :

 

Chère Amie,

 

Merci.

Tous deux, mon pauvre ami vous aimait.

C'est redoubler désormais l'attachement que je vous ai voué.

 

 

à JOSEPH-RENAUD :

 

Cher Ami,

 

Vous dites ces choses comme elles sont, et comme il le faut.

Je ne puis encore en écrire, à peine en parler. Mais, venez, je serai heureux de vous revoir.

Vous avez participé à des heures qui furent les dernières de ma vie. Ma survie a commencé. J'y ferai ce que j'y dois.

 

 

à MADAME JOSEPH-RENAUD :

 

Chère Madame,

 

Vos roses ne sont pas fanées, ne se faneront jamais dans mon cœur.

C'est tout ce que mon chagrin peut écrire. Il faut rapprendre à parler après les désastres ; mais non pas à se souvenir.

Mon ami, dont l'ambition n'était que de mes avantages, avait été heureux de votre succès dans la récitation de mes vers. Depuis, je ne vous ai plus vue.

Un témoin de nos derniers jours douloureux et doux, vous en aura communiqué le mystère frissonnant. Je n'y insiste pas.

Ces heures nous ont unis. Elles étaient mêlées de fer et de fleurs, de flammes et de larmes.

Et les flammes des cierges funèbres, qui ont éclairé le dernier matin, elles, non plus, ne s'éteindront jamais dans mon cœur­

 

à MONSIEUR PAUL LAMBOTTE :

 

Mon cher Ami,

 

Laissez-moi vous appeler ainsi, en ajoutant, à mes sentiments personnels, la vraie sympathie que vous aviez inspirée à un cœur merveilleux, difficile et fidèle.

Il a bien pu cesser de battre ; mais il n'a pu cesser de brûler. De tels foyers sont inextinguibles.

Près de vous, je m'excuse à peine. A quoi bon, pour qui sait entendre les déchirements de la solitude et les vibrations du silence ? Vous avez compris, n'est-ce pas, le malaise de notre dernière rencontre opprimée, presque oppressée, et le désir de sourire, devant la menace de pleurer ? Et quelles remontantes larmes !

vous m'avez adressé des paroles simples, fortes et douces, qui m'ont vivement ému.

Je suis heureux de pouvoir enfin vous le dire et que, pour toujours, elles ont fait de moi celui qui n'oubliera jamais.

 

 

à HENRY LAPAUZE :

 

Cher Ami,

 

Excusez-moi de ne vous avoir pas encore remercié pour votre précieuse sympathie. J'étais si blessé que je pouvais à peine penser, encore moins écrire.

Aujourd'hui il faut bien me reprendre à vivre, et dans ce haut sentiment d'art et de beauté que vous avez vanté, qui fut si cher à mon pauvre disparu.

Vous souvenez-vous de notre petite réunion, (la dernière). Tant de gaité, et la douleur si près !

Un peu plus tard, j'écrirai à Madame Lapauze, pour les beaux livres. Aujourd'hui, j'ai seulement voulu vous dire merci pour votre compassion, dont je tiens et serre les mains.

 

 

à la COMTESSE AIMERY DE LA ROCHEPOUCAULD

 

Chère Amie,

 

J'ai été heureux de lire votre nom, parmi ceux qui sont venus s'inscrire lumineusement sur les ténèbres de mon deuil.

Ces noms, ont acquis pour moi deux fois plus de force et de grâce ; ils seront tout puissants désormais sur mon esprit et sur mon cœur.

 

 

à GABRIEL DE LA ROCHEFOUCAULD :

 

Cher Gabriel,

 

Mon chagrin dépasse de tant de larmes les limites d'ordinaire assignées à ces sortes d'offices, qu'il me faut m'en taire. Vous le comprendrez aisément.

Je ne vous en remercie que plus affectueusement de la sollicitude marquée, par vous, au cours de ces étapes cruelles, et qui fixe pour moi, la sympathie de ce qui me reste d'avenir.

 

 

à MONSIEUR HENRI LAVEDAN :

 

Cher Monsieur,

 

Voulez-vous, pouvez-vous venir, un instant, vers la fin du jour ?

Vous verriez encore cette belle cour, ces vieilles plantes, quelques chambres, quelques choses drapées de mélancolie, et déjà voilées, comme mes sentiments, et mes pensées ; enfin, quelques tendres et poignants aspects de cette demeure atteinte, qui, sans doute, elle aussi, va mourir !

Et, tout cela, sans préjudice de la réponse que je dois, et veux faire, à deux lettres qui sont dans mon cœur !

 

+°+

 

Cher Monsieur,

 

Cent fois, j'ai voulu vous écrire. Ou, plutôt, ce n'est pas assez dire ; je l'ai voulu tout le temps ! Je suis un homme qui veut vous écrire.

Pourquoi ne l'ai-je pas encore fait ? - Sans doute, par suite de cette extrême circonspection dont on entoure les choses que l'on juge, justement importantes. La crainte de vous paraître ingrat me fait me décider enfin.

A la suite de notre rencontre de Juin, et de l'envoi de mon livre, vous m'avez d'abord adressé une lettre infiniment courtoise, laquelle fut une des dernières Joies de Celui qui ne vivait que pour me voir apprécier par ceux qu'il admirait.

L'anxiété poignante que sa santé me causait, alors, me priva de vous remercier, comme je l'aurais voulu. C'est à cette minute, que, ce remerciement, vous l'avez devancé par l'exquise expression de votre sollicitude, pour un de ces malheurs distants et pressentis, qui font penser à ce titre d'une poésie :

 

Une nuit qu'on entendait la Mer sans la voir.

 

Cela, cher Monsieur, parmi l'humanité indifférente, et la féroce mondanité, c'est un de ces bienfaits de Samarie, que rien ne saurait reconnaître ; si ce n'est, cependant, (lorsqu'il est sincère) le sentiment qui habite et illumine ces deux vers simples et profonds :

 

" N'oubliez jamais dans vos larmes,
Celui qui s'en est souvenu ! "

 

 

à MADAME MADELEINE LEMAIRE  :

 

Chère Amie,

 

Tous deux le deuil nous a visités.

Vous souvenez-vous de la soirée du Coffret ? Nous savons maintenant ce qu'il contenait... nos larmes.

Mon pauvre ami aimait cette page. Il avait été heureux de me la voir écrire pour vous ; de m'entendre vous la lire. Et ces circonstances arrachaient, à son âme exquise et ardente, les derniers de ces accents persuasifs qui faisaient sa force et sa grâce.

Je suis bien sûr que vous ne l'oublierez jamais. Nous en parlerons souvent. Il nous unira toujours.

 

 

à HUGUES LE ROUX :

 

Cher Ami,

 

Vous m'avez dit ce que, seulement, je pouvais entendre, sans redoublement de peine : et cela, parce que vous l'aviez éprouvé vous-même.

Les douleurs extrêmes se ressemblent. J'ai souvent pensé et dit, que les chefs-d'œuvre ne sauraient se surpasser entre eux. Il y a des chefs-d'œuvre de la douleur.

Quand on a vu se refermer les yeux qui vous versaient la confiance, ils emportent avec eux notre inclination à les suivre.

Et ne pourrait-on pas dire alors, que la mort nous devient trop facile puisque nous nous sentons rappelés par Ceux dont le départ nous laisse inconsolables ?

 

" J'ai déjà tant d'âmes aimées,
Sous le lugubre vêtement... "

 

Une seule fine, vraiment amie, contient, pour nous, toutes ces âmes-là. Telle était l'âme que je pleure..

Vous en avez connu l'extérieur attrait. Le tréfonds vous sera révélé. Alors vous comprendrez mieux.

En attendant, merci pour vos belles et bonnes paroles. Elles ont achevé de vous conquérir ce qui me restait de mon cœur meurtri.

 

 

à MADAME LOBRE :

 

Chère Madame,

 

Vos fleurs me touchent entre toutes, parce qu'elles sont remontantes du souvenir.

Elles prouvent que tous les sentiments et toutes les pensées ne se fanent pas tout de suite, et que je ne serai pas tout seul à ne pas me consoler. Merci !

 

 

à MAURICE LOBRE :

 

Cher Ami,

 

J'ai remercié vos deux collaboratrices en cette œuvre pie. Je tiens à vous remercier, à votre tour, vous aussi.

J'ai porté moi-même les fleurs à Celui qui vous aimait, qui les aimait, qui nous aimait.

 

 

à MADAME DE MADRAZO :

 

Chère Madame et Amie,

 

La seule façon que j'aie de remercier une Mémoire, à l'égard de laquelle ma dette ne saurait finir, c'est de m'émouvoir à chacune des occasions que me présente le passé, d'exalter Celui qui l'anima de tant de bonté.

Il n'y avait, pour lui, véritable joie que dans l'hommage qui m'était rendu. La grâce ingénieuse avec laquelle vous avez, au sortir de ma conférence sur le Japon, confié à des fleurs d'Extrême-Orient, le soin de me dire votre satisfaction, l'avait comblé de plaisir.

Je me souviens d'un vaste chrysanthème blanc, fleur chenue et vénérable, aux pétales frisés, qu'on aurait pu prendre pour la végétale réincarnation d'Okousaï en personne. " - C'est le vieillard fou de dessin ! " - s'écriait mon pauvre ami. Et ses soins s'appliquèrent longtemps à prolonger les jours de la fleur symbolique.

Ces retours me sont douloureux et doux. J'aime à m'y promener avec vous et à vous envoyer, pour vous deux, les tristes rejets de mon sentiment et de ma pensée.

 

 

à MISS MARBURY :

 

Chère Amie,

 

J'espère que vous êtes mieux.

Moi, je suis malheureux. J'ai perdu la plus grande part de ce qui me faisait, sinon aimer, du moins, supporter l'existence.

Un moment, vous avez paru grandement subir le charme de Celui qui en rayonnait un si communicatif ! C'est à ce moment-là que vous l'avez jugé et apprécié comme il le méritait. Puis, les refroidissements sont venus, les malentendus. Ce sont les vrais torts de la vie.

Le souvenir vous rendra votre première lucidité, et ce sera notre meilleur lieu d'entente et de réunion.

 

 

au DOCTEUR et à MADAME MARDRUS :

 

 

Vos bonnes lettres, vos beaux portraits sont arrivés avec mon deuil, comme une condoléance qui ne sait pas et qui, cependant, souffre avec moi.

 

+°+

 

Chers Amis,

 

Vos pensées, vos paroles, vos écrits, vos images sont venus me visiter, m'accompagner dans les premiers instants de mon deuil.

La suite de ma vie aura la forme, et la couleur de ces premiers instants ; forme affligée et couleur sombre.

Cependant, un charme s'y répandra, une force l'habitera, de par la volonté de se conformer à un dessein qui fut assez longtemps double, pour que l'accomplir à soi seul, demeure facile à qui sait se souvenir !

Je suis celui-là, votre affligé, votre affectionné.

P.-S. - Au moment de vous adresser ce mot, arraché a ma silencieuse tristesse, je relis vos belles et bonnes lettres, auxquelles il me semble une bien insuffisante réponse. Mais le mutisme n'est-il pas plus insuffisant encore ? - Vous me comprendrez et m'excuserez.

On n'aime qu'une Douleur dans sa vie. J'ai rencontré celle-la, et ne puis encore obtenir, de moi, de lui fausser compagnie, fût-ce un instant, et pour remercier de la compassion qu'elle suscite. - Mais croyez que j'ai goûté, apprécié la force et la finesse de vos paroles et que rien n'en a passé inaperçu, pour mon sentiment ni pour ma pensée.

 

 

à ANDRE MAUREL  :

 

Cher Ami,

 

Telle est, hélas ! la douloureuse raison de mon silence, à la suite de votre précieux envoi, aux destinées duquel je n'en veux pas moins veiller, tenant pour la meilleure façon d'honorer mon cher défunt, la continuation d'un effort d'art, au nom duquel il a donné sa vie !

Merci pour vos bonnes paroles. Je n'entends bien que ce qui me parle de ce dont elles traitent. Le reste peut bien m'atteindre, mais non me toucher.

Nous chercherons ensemble un souvenir qui vous plaise et vous parle de l'inoubliable, de l'inoublié.

 

 

à CHARLES MEUNIER :

J'ai été très sensible aux bonnes paroles que vous m'avez adressées dans mon grand chagrin.

Je suis allé plusieurs fois pour vous le dire. Vous étiez absent. Je l'ai d'autant plus regretté que je voulais vous entretenir d'un projet qui n'est pas sans rapport avec elles. Voici ce dont il s'agit. Je désire consacrer à la mémoire de mon admirable compagnon un livre qui sera imprimé à petit nombre et donné, par moi, à ceux qui l'appréciaient. Et le caractère sensible de cette œuvre me fait souhaiter de la réaliser dans votre maison amie.

 

 

à JEAN DE MITTY :

 

Mon cher Mitty,

 

Vous m'avez écrit de belles et bonnes paroles. Elles se sont répandues avec douleur sur ce grand silence qui vient de se faire dans ma vie, s'y prolonge, et y durera.

Quel autre accent saurait, en effet, raisonner où vibra, vingt ans durant, le noble timbre du zèle ardent et du dévouement passionné ?

Mon admirable compagnon vous appréciait. Sa clairvoyance distinguait les sympathies véritables, dissipait les malentendus, et bien des fois rendit ce service d'élucider, de pacifier, de rapprocher, de réunir.

Son souvenir nous parlera de même, et nous l'entendrons.

 

 

à MADAME DE MONBRISON :

 

Chère Amie,

 

Votre noble philosophie est venue me visiter. Elle m'a trouvé en larmes. Les grandes douleurs ouvrent, dans notre cœur, des blessures qui sont comme des paupières, comme des lèvres, comme des oreilles, et qui nous font mieux voir, mieux interpréter, mieux entendre au fond de nous-mêmes.

Je crois m'y reconnaître dans ces nouvelles ténèbres que mon destin m'a voulues. Il me reste à parfaire ma vie, à conclure mon œuvre, dans l'esprit que voulait le cœur de Celui qui donnait confiance, parce qu'il avait foi.

Vous avez vu l'extérieur brillant de cette âme lumineuse et chaleureuse. J'espère un jour, vous en faire connaître le foyer.

Celui qui reste vous conserve double sympathie... pour l'autre, et pour lui.

 

 

au DUC DE MONTMORENCY :

 

Mon Cher Duc,

 

Je tiens à vous récrire ce que je vous ai dit : que j'ai été très sensible à votre compassion.

Vous vous étiez toujours montré bien aimable pour mon pauvre ami ; il n'y a pas, pour moi, de pensée plus touchante, plus attachante. Veuillez en agréer la nouvelle assurance, embellie de ce souvenir.

 

 

à MONSIEUR LEON MOREAU :

 

Vous rappelez-vous notre rencontre, à cette matinée de musique ?

Une grande douleur s'apprêtait, et j'étais loin de la savoir si proche. C'est sans doute ce souvenir qui vous a amené vers moi, en ces jours voilés. Je vous en remercie d'un cœur ému.

Je vous revois debout au sommet de ce petit escalier, causant avec Celui qui bientôt allait se taire, et dont la voix a emporté, pour moi, tant d'échos profonds, tant de fraternelles harmonies ! N'oubliez ni l'absent, ni le désolé.

 

 

à MADAME LUCIEN MUHLFELD :

 

Chère Amie,

 

Vous savez ce qu'il en coûte de voir s'éteindre l'espérance dans les yeux des êtres pour lesquels on donnerait sa vie.

Une fois franchi ce degré d'angoisse, l'existence n'a plus grand chose à nous apprendre, si ce n'est à mourir nous-mêmes, aussi noblement que les doux qui nous en ont montré le chemin, et que les forts qui nous en ont donné l'exemple.

A vous, en Ceux qui ne sont plus.

 

 

à la COMTESSE MATHIEU DE NOAILLES  :

 

Chère Comtesse,

 

" N'oubliez jamais dans vos larmes
Celui qui s'en est souvenu. "

 

Ces deux vers éloquents et simples résument désormais ma ligne d'horizon et le tracé de ma vie.

Je reconnais des yeux qui ont pleuré avec moi, des mains qui se sont refermées sur les miennes, dans les premiers instants de mon deuil, et je regarde les uns, je serre les autres avec plus de sentiment que je n'avais fait jusqu'alors.

Mon pauvre ami vous admirait beaucoup. Vous lui avez souvent témoigné de votre grâce. Ces souvenirs s'ajoutent à ceux qui m'attachent à vous. Cependant, il vous était difficile de vous rendre compte de ce que valait ce dévouement ; et c'est mon devoir d'amener à cette compréhension ceux qui doivent en être émus.

Parlons de vous, mon sujet n'étant que de larmes....

 

 

à MONSIEUR DE NOLHAC :

 

Cher Ami,

 

Ce triste faire-part vous dira pourquoi je n'ai pu répondre plus tôt à votre exellente lettre, qui fut une des dernières joies de mon pauvre ami. Vous êtes de ceux que j'aimerai toujours à revoir. Il vous appréciait, et votre bonne grâce lui était acquise.

L'âme de Versailles vivait mystérieusement en lui. Et il est possible, il est probable que les destinées de son nom y soient unies. Nous en parlerons. Recevez, en attendant, mes pensées voilées.

 

 

à R. DE OCHOA :

 

 

Cher Ami,

 

Je tiens à vous redire merci pour vos bonnes paroles d'avant, pendant et après.

Vous êtes de ceux qui subissiez la séduction d'une nature merveilleuse, dont vingt ans de compagnie quasi quotidienne n'avaient pas diminué, un instant, pour moi, le charme et le réconfort.

C'est dire mon chagrin. C'est dire aussi sa noblesse qui l'empêche d'être faible, sa grandeur qui me permet d'en être fier.

 

 

au COMTE DE PÉRIGORD :

 

Mon cher Ami,

 

Vous n'avez pu vous méprendre sur les sentiments qui m'ont dicté ma retraite subite et subie. Mon deuil est encore trop récent et trop sensible pour que je puisse prendre part à la réunion, même des personnes que j'aime le mieux. Vous avez vous-même été visité par une perte assez cruelle pour ne pas méconnaître les susceptibilités de la douleur.

Je tenais à vous redire cela, mon cher ami, avec encore tous mes remerciements pour votre compassion dans ma peine.

 

 

à la COMTESSE JACQUES DE POURTALÈS :

 

Chère Amie,

 

Vous m'avez écrit une charmante lettre, dont, par une grâce de plus, les dernières lignes se teintaient de mes inquiétudes.

Elles ont eu leur aboutissement tragique ; on pourrait dire leur couronnement, tant il y a eu de beauté dans ce malheur !

Là encore votre souvenir m'est parvenu, fidèle et compatissant. Aujourd'hui seulement, je puis vous en dire merci.

On ne perd pas ce qui fut unique dans une existence déjà longue, sans, hélas ! sentir beaucoup de soi-même partir déjà pour le grand voyage. Et, cependant, il faut rester pour achever ce qu'on avait commencé ensemble, et sans doute lui donner ce trait de perfection qui, seul, vient des larmes. Les miennes se souviendront que vous ne les avez pas oubliées.

 

 

au PROFESSEUR POZZI :

 

Cher Ami,

 

" Il nous est malaisé de retirer notre âme

De ces grandes douleurs. "

 

Merci de m'y aider, et de m'y aimer.

 

 

à MARCEL PROUST  :

 

Cher Marcel,

 

Vos paroles me sont douces. Elles m'apportent des échos, plus forts que des voix.

Oui, cette " dernière soirée " que vous évoquez, je me la rappelle avec douceur, avec douleur. Mon admirable ami s'y était, une fois de plus, exalté dans la joie de me voir louer, et le noble spectacle, le rare exemple que présentait cette perpétuelle ardeur pour la cause d'un autre. sert aujourd'hui à faire son éloge funèbre bien éloquemment.

Merci de vous y associer.

 

+°+

 

Cher Marcel,

 

C'est une délicatesse, je l'ai compris, de me parler d'autre chose; et que cette autre chose soit une part de ce pour quoi mon pauvre ami vécut et mourut.

Avec vous, pourtant, je pourrai parler de lui etj'en serai heureux, autant que ce mot puisse s'appliquer à des choses douloureuses. Mais c'est la grâce du chagrin de changer d'usage, pour nous, les mots, les sentiments et les pensées, et de nous faire trouver du bonheur, dans ce qui nous causait du chagrin, pour nous dédommager de ne, plus rencontrer que de l'ennui, dans ce qui nous apportait du plaisir.

Vous avez été trop mêlé à ce qui fut nos joies et nos peines, pour ne pas m'apparaître comme le confident souhaité, réceptif et compatissant de tant d'échos devenus sans résonnances, et de souvenirs pleins de soupirs.

 

+°+

 

Cher Marcel,

 

N'est-ce pas étrange que, dans l'instant même où vous faites une si belle apologie, une apothéose de mon verbe, je me sente aphone et atone, au point d'écouter sans y croire, ce que vous me dites, et ce que vous dites de moi, et comme j'entendrais l'histoire d'un autre ? Une autre fois, j'espère vous remercier mieux de ce magistral morceau, et, pour aujourd'hui, je vous demande la permission de traiter plutôt de Celui qui s'en serait réjoui, et peut-être vous l'inspira, de ce " lieu de rafraîchissement ", où, sans nul doute, il continue de brûler.

Ce qui me touche, dans la façon dont vous m'en parlez, c'est que vous me parlez de lui, et non de moi, comme font la plupart, qui me parlent de lui, par rapport à moi, au lieu de me parler de moi, par rapport à lui, ce qui, je le répète, m'émeut cent fois plus.

C'était une nature vraiment belle, une figure haute, un caractère singulier et irréductible, une grande âme, un cœur généreux. La merveilleuse dignité avec laquelle il est sorti de la vie, m'offrit un si beau spectacle que je ne puis en détacher ma pensée et mon sentiment, qu'il induit à une humilité personnelle, quand je songe que, moi, qu'il appelait son Maitre, je n'aurais sans doute pas atteint ce degré de perfection dans le renoncement silencieux et dans le sacrifice contenu.

J'aime à imaginer, entre vous et lui, des correspondances mystérieuses. Son ingénieux dévouement d'outre-tombe cherche et trouve sans doute à se loger dans des esprits et des cœurs, qu'il dispose à me comprendre mieux, et à m'aimer davantage.

 

 

au PRINCE DE RADOLIN :

 

Mon Cher Prince,

Je tiens à vous redire ma gratitude, pour vos paroles écrites et parlées, dont le vibrant écho se prolonge dans mon souvenir.

Mon admirable ami était fier de votre bienveillance. Ma fierté, à moi, sera de prouver à quel point il était digne de l'appréciation des bons esprits et de l'affection des grands cours.

Puisse une si noble démonstration consoler, pour moi, ce qu'il y a de consolable dans l'indesinenter flebat !

Votre respectueusement attaché.

 

 

à MONSIEUR DE REYNOSO :

 

Cher Ami,

 

Le grand drame s'apprêtait, quand vous êtes venu. Il a éclaté, il est éclos. Ces deux métaphores conviennent. Il a éclaté comme un engin qui détruit. Il est éclos, comme une triste fleur, dont le fruit amer mûrit dans la désolation, et se récolte dans l'isolement.

Votre affectionné et affligé.

 

 

à GEORGES RICHARD :

 

Mon cher Ami,

 

Merci pour les paroles de compassion que vous m'adressez dans mon grand deuil d'amitié.

Elles me touchent en me rappelant nos premières rencontres, animées par la présence, éclairées par le zèle de Celui qui collaborait de tout son grand cœur.

Il me faudra, quelque jour, aller vous voir pour vous consulter sur un point. Ce me sera une précieuse occasion de reparler du passé, tout plein, pour nous, de douceurs et de douleurs.

 

 

au PROFESSEUR ALBERT ROBIN :

 

Cher Ami,

 

Vous n'avez pas oublié.

Ils n'oublient rien, ceux qui méritent vraiment le nom d'homme.

Vous n'oubliez pas, entre vos préoccupations, de me dire merci, et en termes bien nobles, pour ces pauvres petites pierres qui pleurent, et qui se réjouissent aussi, d'appartenir à Celui qui les porte, et les pare, en mémoire de l'inoublié !

 

 

à MADAME ALBERT ROBIN :

 

Chère Amie,

 

Venir à la douleur, c'est œuvre d'amitié ; y revenir, c'est chef-d'œuvre d'amitié. Ce chef-d'œuvre vous l'avez accompli. C'est une de ces actions dont il faut féliciter, en même temps que remercier. Elle me prouve, une fois de plus, ce que je connaissais déjà de vous, que vous savez unir à beaucoup de grâce, une grandeur d'âme, que sa rareté rend plus précieuse encore.

Voici de mes nouvelles que vous voulez bien désirer. J'ai passé mon temps seul, ou à peu près, s'il n'était plus vrai de dire qu'un chagrin comme le mien, qui prend la place d'une présence permanente, se personnalise et devient une compagnie, sur bien des points. C'est la lutte de Jacob avec l'Ange, une lutte dans laquelle l'Ange-Douleur a fréquemment un avantage, que nous sommes heureux de constater, pour la dignité de notre constance.

 

 

à la DUCHESSE DE ROHAN :

 

Chère Amie,

 

Je compte toujours aller vous voir, entre le 10 et le 20, pour deux ou trois jours, et je m'en fais une fête, autant que ce mot puisse s'associer à l'état présent de mon esprit et de mon ceeur.

Mais n'est-ce pas toute la fête sombre à laquelle nous donnent droit d'irréparables pertes, de parler de ceux que nous pleurons, près de la mer qui soupire, et sous le jour qui s'éteint ?

Je souffre un chagrin, qui ne doit pas paraitre, sous peine d'offenser l'Ombre lumineuse de Celui qui me souhaitait supérieur, et dont l'une des dernières paroles me disait : " J'aimerais mieux mourir que de vous voir donner une seule marque, même de touchante faiblesse, devant qui pourrait ne la pas comprendre. "

Et, d'autre part, quelle que soit ma volonté de lui obéir, je ne puis encore prendre sur moi constamment, sous l'afflux de tant de souvenirs et l'assaut de tant de regrets !

Pour cela, je puis me manifester durant des heures, mais à peine tout un jour.

A bientôt, chère amie. Tous ceux qu'il aimait et qui l'assistèrent me sont sacrés.

Votre fille Marie est venue me voir. Son intelligence et sa sensibilité m'ont été douces, dans ces heures amères. Je ne saurais l'oublier.

 

 

à la BARONNE ALPHONSE DE ROTHSCHILD  :

 

Chère Baronne,

 

Mon pauvre ami assistait, avec moi, aux funérailles qui vous plongent dans le deuil.

Peu de semaines après, son heure était venue ; et, la mienne, de pleurer.

L'autre jour, en relisant des lettres de lui, je suis tombé sur le compte-rendu enthousiaste de sa visite à Ferrières, avec le détail reconnaissant de votre réception bienveillante, de votre excellent accueil à tous les deux.

Ce souvenir m'a ému et renouvelle, dans le passé, ma gratitude pour votre bonne grêce à l'égard de Celui qui s'en honorait, et me lègue la précieuse mission de me la rappeler, pour lui et pour moi.

 

 

au COMTE JEAN DE SABRAN :

 

Mon cher Comte,

 

Ne saurait-on voir une étrange et double prédiction, dans le fait que vous soyez venu, la veille même de votre départ, pour la première fois, toucher mon seuil que le malheur allait cruellement frapper; et que je me trouve aujourd'hui à la porte de la demeure où votre malheur personnel s'est, peu après, accompli ?

J'en suis bien sensiblement impressionné, je tiens à vous le dire.

Vous avez perdu votre compagne. J'ai perdu, moi, un ami de vingt ans qui avait partagé ma vie, c'est à dire mes peines, et que nul ne me remplacera jamais.

Cet état d'esprit et de cœur me rend mieux apte à comprendre votre propre chagrin.

 

 

au BARON FERNAND DE SCHICKLER :

 

Cher et bienveillant Ami,

 

Je vous reparle dès que je puis parler, mais il y a longtemps que je pense à vous.

Il plaît à mon deuil que ce soit aujourd'hui que je revienne vers votre compassion, dans ces premiers jours de Septembre, où votre élégant et fruste palais se désemplit un peu de l'afflux des curieux et de l'affluence des amis.

Même à distance, ma tristesse préfère n'aborder que des solitaires.

Je me présente à vous, je vous représente à moi, près de vos faïences où des poètes sont dépeints.

Ajoutez-y le souvenir d'un ami affligé, d'un poète chagrin.

Mon regretté compagnon a vu ces choses, les admira ; et je les aimerai mieux encore, de retrouver sur elles un peu de ses regards, quand les miens s'y pourront poser sans le voile qu'y font les pleurs.

 

à MADAME MATILDE SERAO

 

Chère Amie,

 

Depuis quelque temps, je m'ennuyais de vous. Presque je me plaignais. Puis, le malheur est venu, et maintenant, les douleurs.

Pour avoir été longuement prévus, ils n'en apparaissent pas moins graves, disons : déchirants.

Cependant, je ne crois pas que les adversités qui nous sont accordées (comme pensent les mystiques) puissent jamais être au-dessus de nos forces. - Plutôt destinées à les mesurer.

Les miennes, j'en jure par mon cher mort, ne seront pas, je veux croire, au-dessus de ce qui m'est demandé. Il l'aurait voulu, et ma gloire, comme ma joie, est de continuer de répondre à ce haut sentiment qu'il avait de ma dignité, et de ce qui lui semblait être mon prestige.

Ce que vous avez écrit de lui me sera bien précieux. Faites-moi la grande amitié de le retrouver pour moi et de me l'adresser. Je vous le demande instamment.

Vous souvenez-vous de notre fête de l'an dernier? - Mou pauvre ami en avait été heureux. Et j'avais écrit à Flavie pour lui demander de la présider.

Peu de temps aprés, ses yeux de Joconde s'éteignaient avant elle, dans son visage, qui mourut voilé.

Je crains de ne rentrer qu'après votre départ. Alors, j'irai voir si vous êtes là, et vous partagerez mes cinéraires, comme vous avez fait de mes roses.

 

à MADEMOISELLE CÉCILE SOREL :

Chère Amie,

 

J'entends des voix dans ce grand silence que sont, tout à coup, devenus mes jours.

La vôtre, est, comme toujours, timbrée de beauté, de sincérité, et de cette chaleur qu'aimait le zèle de Celui qui fut le feu, et dont il brûla.

Pour cela, moi, aussi, j'aime votre voix, même quand elle ne fait plus que me rappeler - peut-être mieux encore pour cela - ce que j'avais, ce que je n'ai plus.

 

 

à ALFRED STEVENS :

 

Mon cher Maître,

 

L'éloge de mon pauvre ami, dont chaque jour le mérite m'apparait avec plus de noblesse, représente, de la consolation, la seule part que mon regret en veuille accepter.

C'est vous dire que sa louange, venant d'un homme tel que vous, m'est une grande douceur.

Son admiration pour votre œuvre fut une des plus sûres marques de son goût, comme son affection, pour votre personne, fut une des plus heureuses preuves de son cœur.

Je vous salue en son souvenir.

POST-SCRIPTA

 

 

 

 à UN AMI :

 

Mon cher Ami,

 

Vous ne me parlez pas de votre santé. Cela signifie, je veux le croire, que vous vous portez bien. Il le faut. Quant à la santé morale, c'est autre chose.

L'autre jour, je vous ai indiqué un remède humain. Il en est un autre, et d'une autre essence. Mais, celui-là, nul ne peut, avant l'heure, en faire partager la force et la vertu. Elles sont toutes personnelles et se communiquent, lorsque l'instant en est venu, sans le secours d'aucune parole.

Je veux parler de cette conviction que la dépouille humaine n'est rien autre qu'un vêtement respectable et vénéré, pieusement conservé, par nous, dans l'abri du sépulcre, ainsi que le sont, dans un meuble, ou dans un coffret, des atours ou des habits, gardés, lesquels furent seyants pour ceux qui s'en aimaient parer ; - mais qu'en dehors, et, au-dessus, s'élève, palpite, plane, et sourit quelque chose d'éternellement vivant, et de pas tout à fait incorporel, qui représente la raison de notre fidélité, de notre foi et de notre espérance.

Ce quelque chose que le poète fait murmurer a l'oreille du survivant :

 

" Ne crains rien, je suis là, je reste, pour t'attendre, Sur l'échelon d'en bas de l'échelle d'amour ! "

 

Au reste, une telle opinion n'était pas neuve, au temps de Cicéron, qui s'exprime ainsi :

" Je ne partage pas l'opinion soutenue depuis peu, que l'âme périt avec le corps, et que la mort détruit l'homme tout entier. J'aime mieux déférer à l'autorité des anciens et de nos pères qui honoraient si religieusement les morts, ce qu'ils n'eussent certainement pas fait s'ils avaient cru à leur entier anéantissement. "

A mon tour, j'ose dire que la révélation m'en fut faite, un matin du jour des Morts, dans une chapelle de banlieue ; je lisais l'Épître de Saint-Paul, qui jusque-là n'avait été, pour moi, qu'un texte sacré, lorsque j'arrivai à ce passage sur l'épi qui sort du grain de blé et qui, cependant n'est pas le grain ; - et à ces mots : " de même qu'il y a un corps matériel, de même il y a un cops spirituel ", une confiance naquit en moi, qui s'est faite certitude, et depuis, n'a plus été troublée.

Je souhaite, mon cher ami, qu'une telle clarté se lève, un jour, pour vous et en vous.

Mais, ceci dit, reste le secret des larmes qui, (c'est encore un poète qui l'a écrit) " coulent et ne se trompent pas. "

......................

Vous êtes un produit d'allégresse, moi, un produit de mélancolie. Aussi vous sentez-vous, plus que moi, mal à l'aise dans la douleur.

Cependant, pour chacun de nous, le résultat est le même. Vous ne pouvez tout à fait répudier votre allégresse, puisqu'elle est de votre nature, et vous la redemandez à des amis. Seulement, elle est devenue creuse. Moi, de même, je redemande, à la solitude, ma mélancolie que j'aimais. Je l'y retrouve ; mais elle est devenue vide.

Or, une allégresse creuse, et une mélancolie vide, ce n'est que le même grelot privé de son.

.....................

Je vous ai adressé un autre bien joli article inspiré par mon livre. Comment ne pas croire que la force ardente de Celui qui s'est prodigué pour moi, pendant vingt ans, et qui souffrait de ne pas me voir apprécier autant qu'il le souhaitait, ne soit pas pour quelque chose dans ces réparations tardives qui l'auraient rendu heureux et que, sans, doute, il inspire, d'un autre point de l'univers où il continue à n'assister de sa ferveur redoublée et de son dévouement amplifié ?

 

 

à DES VOISINS

 

Chers Voisins et Amis,

 

Connaissant le prix que j'attache à l'élan, dans les heures habituelles de la vie, comment pensez-vous que pourraient m'apparaître ceux qui n'en feraient pas preuve dans les solennelles heures que je viens de traverser ? Aussi l'avouerais-je ? le vôtre m'avait paru un peu lent à exprimer son personnel deuil de l'être merveilleux, dont il vous fut donné de mesurer le mérite, d'apprécier la force et la grâce, et qui. vous avait fait, de cette dernière, une inoubliable part.

Sans doute, comme la lumière des étoiles qui prend du temps pour nous parvenir, l'obscurité de mon malheur ne vous aura pas tout de suite visités ; et, si je fais allusion dans le passé à ce retard d'un regret si juste, ce n'est que pour vous témoigner, une fois de plus, de l'estime en laquelle je tiens l'exactitude des bons cœurs. Votre lettre me prouve, cette fois encore, que vous êtes de ceux-là. J'en suis heureux pour vous et pour moi.

Mon art est ce qui me reste, et m'est devenu cent fois plus cher, de toute l'ardeur qu'il inspirait à Celui qui n'est plus.

Je n'ose parler de retour, tant je redoute de me retrouver en un lieu si plein pour moi de souvenirs poignants et vivaces. Chaque jour, je trouve de nouvelles raisons de retarder, dans de nouvelles raisons de regretter.

Recevez, en attendant, une pensée amie, qui mérite de s'appeler comme ces tristes fleurs.

 

 

à UNE VOISINE :

 

Chère Madame,

 

Merci pour votre sympathie. Elle inscrit votre nom sur la liste bien nombreuse, bien éloquente et bien belle, de ceux qui me resteront précieux, durant les jours qu'il me reste à vivre.

Mon chagrin dépasse trop les limites humaines pour que je puisse en parler.

C'est pour cela que votre condoléance émue n'en demeure pas moins fort au-dessous de la vérité quand elle dit que mon cœur se serre ; il faut dire qu'il est brisé !...

 

 

à DES PROCHES :

 

Chère Amie,

 

Merci pour votre compassion.

Elle ne s'adresse qu'à une partie de ma douleur. Vous n'avez pas connu Celui qui la motive. C'était un être magnanime et supérieur que n'oublieront jamais ceux qui ont pu apprécier sa chaleur de cœur et sa grandeur d'âme.

Ce souvenir est à la fois ce qui me désole et ce qui me console.

Votre affligé et affectionné.

 

 

Chère ***,

 

Merci pour l'expression de votre sympathie. Elle représente, de votre part, un commencement d'équité à l'égard de Celui que l'aveuglement et la méchanceté vous avaient appris à méconnaître.

Le voilà désormais au-dessus du mensonge, et dans ce royaume de vérité d'où il n'a que justice à attendre, étant de ceux qui n'ont demandé à la vie que de témoigner leur dévouement et leur zèle - et jusqu'à en mourir.

 

 

Chère Amie,

 

Merci pour votre souvenir. Un mot qui résume mes jours. Vous y êtes souvent mêlée. Et bien récemment, au dernier battement d'ailes d'un enthousiasme qui vécut et mourut pour moi.

En dépit de votre indépendance d'idées, vous n'avez pu juger mon admirable ami. Forcément, il vous apparaissait à travers le jugement aveugle ou pressé, maladroit ou malveillant, d'ailleurs sans importance, de voisins ou de proches qui feraient mieux de se juger eux-mêmes. Nous y suppléons.

Quand on n'a pas (et il faut pour cela beaucoup de sagesse) réussi à faire, de ces sortes d'avertissements inverses, une indication du mérite de ceux qui en sont l'objet, on méconnaît de précieuses rencontres.

Vous souvenez-vous du long défilé de ces mille estampes japonaises ? Il y en avait une qui représentait une femme voilée de noir.

Cette femme est devenue ma Vie.

Votre bien attristé.

 

 

Chère ***,

 

Mon admirable ami me parlait toujours de la curiosité avec laquelle vous l'examiniez, lors de vos rares rencontres.

C'est que vous pensiez voir, en lui, l'être légendaire que vous décrivaient l'aveuglement et le mensonge. La curiosité, sans cela, aurait fait place à l'appréciation et à la sympathie.

C'est le plus haut caractère, la plus noble nature qu'il m'ait été donné de connaître, et qui, je pense bien, ait existé jamais.

La perte des êtres sublimes n'est pas tout-à-fait une perte, elle devient une chose existante et belle, dont nous sommes encore fiers, pour eux, et pour nous.

Votre affligé et affectionné.

 

 

Chère Amie,

 

Croyez-moi très sensible à votre double souvenir.

J'aurais été heureux de vous revoir et recevoir, toutes les deux, dans la maison, toujours belle, mais désormais attristée, et d'y rappeler avec vous le détail de la fête où mon pauvre ami s'était fait une joie de se dépenser pour vous.

En son nom, et au mien, je serai toujours, n'en doutez jamais, heureux d'une occasion de vous être agréable.

 

 

à UNE DAME :

 

J'ai été très sensible à l'expression de votre condoléance, au cours de la cruelle épreuve, je ne dis pas que j'ai traversée ; on ne traverse pas ces épreuves, on y séjourne, et, du reste, avec une satisfaction dans la mélancolie, qui, seule, sait occuper la place de ceux que nous pleurons dignement.

Il y a peu de chagrins parfaits. Heureux ceux qui méritent de les éprouver !

Vous avez naguère témoigné à mon ami, une sympathie qu'il méritait, et j'ajouterai dont l'échange était un privilège, venant d'une nature si élevée et d'un si noble caractère. Puis les malentendus humains, et les refroidissements mondains, sont venus, comme toujours, s'exercer.

A présent, il sourit à tout cela. Mais ceux qui l'ont bien compris ne cesseront pas de le pleurer.

 

 

à UNE AUTRE DAME :

 

 

Chère Madame,

 

Vous ne pouviez m'émouvoir plus sûrement qu'en évoquant, avec la respectueuse sympathie à laquelle sa noble mémoire a droit, le souvenir de l'admirable ami dont la perte est, pour moi, irréparable.

C'était se rendre à soi-même justice, que de l'apprécier, car jamais cœur plus magnanime ne palpita dans une poitrine humaine.

Je vous félicite de l'avoir compris, je vous remercie de me l'avoir exprimé.

 

 

à UNE ÉTRANGÈRE :

 

Chère Mademoiselle,

 

Je vous dirai mieux, de vive voix, l'émotion éprouvée à la lecture de votre admirable lettre, dont l'expression a fait jaillir des larmes qui ne faisaient que couler.

 

+°+

 

Chère Mademoiselle et Amie,

 

Croyez-moi infiniment sensible à vos attentions si délicates ! Merci pour vos magnifiques fleurs.

Quand j'ai compris qu'elles étaient pour moi, elles m'ont, tout d'abord, paru volées, à mon pauvre ami. Et puis, la pauvre chose chagrine et humiliée que je suis devenu, en un jour, a cherché à se persuader - vainement - qu'elle existait encore.

Je traîne le fardeau de ma peine. Il y a dans la douleur quelque chose d'exaltant qui rend presque heureux. C'est quand la douleur tourne au chagrin qu'elle devient monotone et grise.

 

 

à UNE AUTRE  ÉTRANGÈRE :

 

Chère Amie,

 

Oui, j'ai perdu tout ce que j'aimais le mieux, avec mon art. Il me reste, et, j'espère, assez de compréhension, assez de sentiment des choses divines et humaines, pour interpréter cette épreuve dans le sens mystique qu'il leur plaira d'inspirer à ma survie.

Vous aviez raison de me vanter le cœur et l'esprit de votre amie. Elle me les a, tous les deux, témoignés, avec une élévation et une délicatesse qui m'ont vivement ému et sincèrement touché.

 

 

à UN ECRIVAIN :

 

Mon cher Ami,

 

Je tiens à vous redire, dès le premier effort que je fais pour revivre, combien j'ai été sensible à votre condoléance préventive, non moins qu'à celle qui a suivi.

Vous voudrez bien, n'est-ce pas, au nom de ce souvenir, accepter un objet ayant appartenu à mon pauvre ami.

Merci encore. Vous comprendrez que je ne puisse encore insister, sur un passé si récent et si douloureux, dont la consolation sera de ne point passer.

Je n'oublierai jamais que vous êtes de ceux qui sont venus en des heures si fortes, qu'elles sonnent dans, notre cœur.

 

 

à UN PRÈTRE :

 

 

Cher Bon Pasteur et Ami,

 

Excusez-moi de n'avoir pas encore répondu à votre excellente lettre. Vous entendez mon silence. C'est un infandum jubes renovare dolorem que requiert de moi chacune de ces réponses.

Mais, ce calice, chaque jour renouvelé, contient de si nombreux et si nobles éloges de Celui qui les mé ritait tous, que ma douleur trouve à s'y désaltérer, en le renouvelant de ses larmes.

Merci pour les lumineuses espérances que m'y verse votre foi.

 

à UN INDIFFÉRENT :

 

Cher Monsieur,

 

Merci pour votre sympathie retrouvée.

C'est le propre de nos détresses (qui ne méritent pas, à cause de cela, tout à fait ce nom) de faire ressortir, du cœur de nos amis, des sentiments qu'eux-mêmes n'étaient pas bien sûrs d'y enfermer. Mais, comme dit le poète, " une larme coule et ne se trompe pas. "

Vous rapprendrez, je l'espère, le chemin de ma demeure attristée, que vous avez, je ne sais pourquoi, un peu oublié.

 

 

à UN  ENNEMI :

 

Mon Cher ***,

 

Excusez-moi de ne pas vous avoir remercié plus tôt, pour votre mot de sympathie dans mon déchirant deuil d'amitié.

J'y ai cependant, croyez-le bien, été d'autant plus sensible que ces paroles, je l'espère, mettront fin aux malentendus qui nous ont séparés, et que j'ai toujours déplorés, sans les bien comprendre.

Aujourd'hui nous pourrons parler ensemble de Celui qui n'est plus ; et, s'il vous est arrivé de le méconnaître, ou de ne point aider à le faire apprécier, je ne vous en ferai pas le reproche, mais je vous en donnerai le regret.

Recevez, mon cher ami, l'affectueuse et sincère expression de mes souvenirs affligés.

 


 

(1) L'Angelot du Lude, dont notre ami nous avait envoyé une reproduction.

(2) Jour, de l'inhumation, le 6 août.

 

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